Actualité du dopage

Les TVM séchappent par la Suisse


01/08/1998 - liberation.fr - Laurent Rigoulet

Visée par la justice française, l'équipe a préféré abandonner.

Il ne manquait plus que cet épisode rocambolesque pour boucler le récit du périple qui ramène ce week-end à Paris une caravane quelque peu sonnée. Il débute de la plus ordinaire des façons: à l'arrière du peloton, jeudi après-midi, jour de galère comme on en connut beaucoup depuis le départ dans la bruine de Dublin. Dans les premières courbes du col de la Faucille, un des maîtres du sprint grimace et maudit son sort. Il s'accroche tant qu'il peut sous les encouragements d'un public de joyeuse humeur, mais ses forces déclinent et la pente durcit. Ceux qui sont restés à l'arrière de la course le suivent avec une attention particulière: ce coureur à l'abandon portant sous une barbe naissante le masque du condamné n'est autre que Jeroen Blijlevens, l'un des leaders de l'équipe TVM. Ce Tour est pour lui la pire des aventures. Il a gagné une étape à Cholet et personne ne s'en souvient. A l'heure même où il levait les bras au ciel sur l'avenue Manceau, les policiers faisaient leur première descente sur le Tour et cueillaient Bruno Roussel, directeur sportif de Festina, sur un parking voisin. Quelques jours plus tard, à Albertville, Blijlevens et ses équipiers étaient à leur tour dans la ligne de mire de la police, fouillés, interrogés et embarqués à l'hôpital pour des contrôles qui se sont poursuivis jusque tard dans la soirée. Le lendemain, ulcéré, Blijlevens appelait à la révolte. Il aurait souhaité qu'on mette pied à terre, on ne l'a pas écouté. Alors, il avance à contrecoeur. Dans les cols, quand on n'a pas l'âme d'un montagnard, ça ne va pas sans mal.

«Oublier la France». En début d'après-midi, ses coéquipiers, qui ne sont plus que cinq et guère vaillants, se sont laissé décrocher pour l'attendre et lui apporter leur soutien dans les monts plutôt tendres du Jura. Il a laissé filer tout son monde et se hisse seul jusqu'au sommet de la Faucille. Il pourrait s'arrêter là tellement il est las, mais la descente lui plaît: par les Rousses et les scieries de Bois-D'amont jusqu'à la frontière. Il peut ensuite mettre pied à terre. Il choisit minutieusement l'endroit: entre deux postes de douane, à l'endroit même où le Tour quitte la France. On comprendra vite pourquoi: «Pour moi, c'était un symbole, explique-t-il à un envoyé spécial de l'Equipe. Maintenant, je vais oublier la France, je vais d'abord trouver la paix en Suisse puis rentrer chez moi en passant par les autoroutes allemandes.» Le soir, dans un hôtel reculé de Muntélier, sur les rives d'un petit lac où dort aussi Marco Pantani, l'affaire est vite entendue. Les TVM, que le peloton avait installés au premier rang, main dans la main, à l'arrivée du simulacre d'étape-révolte entre Albertville et Aix-les-Bains, ont décidé de filer en douce par la Suisse. Vendredi matin, ils ont pris calmement leur petit déjeuner et n'ont laissé, pour la forme, que quelques mots à l'attention de Jean-Marie Leblanc. La caravane, encore une fois, est sous le choc. Dans les premières conservations autour du café matinal à Neuchâtel, la nouvelle quand elle circule est frappée d'un accent romanesque: «Les TVM ont filé dans la nuit.» Comme ça: à l'heure du loup, sur le chemin des contrebandiers. La vérité, c'est que les TVM sont néerlandais (Knaven, De Jongh, Voskamp, Blijlevens), russe (Ivanov), ukrainien (Outschakov), et ne sont pas pressés de retrouver les routes et la police françaises. Ils sont pourtant attendus de pied ferme, lundi, à Reims pour être entendus par le SRPJ.

Démenti de Riis. Autant dire que ces nouveaux rebondissements ne dopent pas le moral des coureurs, qui ne sont même plus cent (96) pour rallier Paris. Les Casino apprennent que Rodolfo Massi, qui portait le maillot à pois rouges, est en route pour Lille où il sera le premier coureur dans l'histoire du Tour à être mis en examen (lire ci-contre). Pour ne rien arranger, la grande famille se déchire un peu plus. Des chroniqueurs italiens expliquent ainsi l'absence de solidarité du peloton avec le vainqueur de la grande étape pyrénéenne entre Pau et Luchon: Bjarne Riis, le porte-parole des coureurs, leur aurait déclaré: «Massi, ça n'a rien à voir, c'est un trafiquant!» Le Danois convoque la presse, après l'arrivée, pour démentir ses propos, dire qu'il n'y a «aucun problème» et lancer un plaidoyer plutôt atone en faveur de son sport: «Il ne faut pas dire que le vélo, c'est fini; que le Tour de France, c'est de la merde. Si tout le monde s'en va avant Paris, on ne s'en sortira pas.» Et pendant la journée, rien à signaler. Sinon que les Casino Durand et Agnolutto, qui juraient qu'ils roulaient contre leur gré, que la course était «finie» pour eux, furent les premiers à renier leur parole et à attaquer tête baissée. Pour rien, d'ailleurs. Après 230 kilomètres d'échappée, c'est le Suédois Backstedt qui s'est imposé.


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Cette page a été mise en ligne le 25/05/2024