Dossier dopage

Un ver marin qui pourrait révolutionner le monde des greffes d’organes


23/01/2022 - ici.radio-canada.ca - Robert Frosi

Arenicola marina est un ver marin qui pourrait faciliter les greffes d’organes et améliorer les performances de certains athlètes.

Comment un ver qui sommeillait dans le sable depuis 400 millions d’années a-t-il pu attirer l’attention du biologiste français Franck Zal ?

Tout a commencé sur une petite plage de Bretagne, à Saint-Jean-du-Doigt.

Ce qui m’a intéressé, c’est d’essayer de comprendre l’adaptation des espèces dans leur milieu naturel. Et je me suis intéressé à un ver marin. Je me suis demandé comment il arrive à respirer dans l’eau et dans l’air, nous explique avec un certain enthousiasme le chercheur français.

Je me suis focalisé sur le sang de cet animal, et en fait, chez ce ver, j’ai trouvé l’ancêtre de nos globules rouges. C’est une hémoglobine extracellulaire qui n’a pas de globules rouges, pas de typage sanguin, ce qui permet à l’arénicole d’arrêter de respirer quand il est à marée basse et vivre sur son stock d’oxygène [qu'il a stocké] quand il était sous l’eau.

Cette molécule marine est capable de transporter l’oxygène. Franck Zal va observer les marées pour comprendre comment fonctionne ce ver marin, baptisé Arenicola marina.

Quand vous voyez ici marée haute et marée basse, c’est exactement ce que vous retrouvez en médecine, ischémie, reperfusion. L’ischémie, c’est l’arénicole à marée basse; reperfusion, c’est l’arénicole à marée haute. Le ver a répondu à ces problèmes d’ischémie, et donc, on a démontré que cette molécule était capable de délivrer de l’oxygène dans un tas de pathologies où l’on a besoin d’oxygène sur la greffe d’organes, les maladies parodontales, la cicatrisation, la transfusion sanguine. En fait, cette molécule va répondre à énormément de pathologies dans le domaine médical, explique le biologiste.

Le ver peut transporter 40 à 50 fois plus de molécules d’oxygène. Autre caractéristique, l’hémoglobine est de petite taille, soit 250 fois plus petite que les globules rouges. En cas de blocage par les globules rouges, elle peut facilement se faufiler pour se rendre directement au greffon. Le greffon baigné dans cette hémoglobine naturelle maximiserait ses capacités de non-rejet.

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Une avancée spectaculaire aux retombées inquiétantes

Si ce ver peut révolutionner le monde des greffes d’organes, il donnera des maux de tête aux agences antidopage. Pour certains spécialistes du dopage sportif, l’hémoglobine de ver marin serait déjà utilisée chez les sportifs de haut niveau.

Il ne fait pour moi aucun doute que ces hémoglobines marines de ver animal seront utilisées ou ont déjà été utilisées. Ça ne fait aucun doute!, nous déclare sans détour Marc Kluscinszyski, un expert en dopage sanguin.

Ce spécialiste français publie régulièrement ses recherches dans le magazine Sport et Vie. Il a récemment constaté que l’utilisation de molécules animales aurait fait son apparition dans certaines compétitions sportives. Elle a peut-être été utilisée dès les championnats du monde de ski de fond de Seefeld en 2019. Le réseau du docteur Mark Schmidt, qui opérait depuis 2001, a donc pu, malgré le passeport sanguin, vivre en toute quiétude pendant plusieurs années jusqu’en 2019, où il a été condamné pour avoir organisé un réseau de dopage sanguin.

On sait aujourd’hui que le dopage sanguin est de plus en plus utilisé dans le sport de haut niveau, car il permet d’avoir une plus grande quantité d’oxygène dans l’organisme durant l’effort. Imaginons maintenant 40 fois plus d’oxygène grâce au ver marin. Un nouveau dopage sportif indétectable est-il en train de naître? C’est ce que pense Marc Kluscinszyski.

"Les tests de détection, par exemple, pour l’hémoglobine de vers marins, l’Arenicola marina ou d’autres espèces de vers, ne permettent le contrôle que quelques heures. Par exemple, dans un grand tour comme le Tour de France, s’il n’est pas contrôlé de 23 h à 6 h, le dopage avec cette nouvelle hémoglobine animale soluble est entièrement possible. Elle est atoxique et non immunogène, sa durée de vie est de 2,5 jours, mais surtout elle transporte 40 fois plus d’oxygène que l’hémoglobine humaine tout en étant 250 fois plus petite. Donc, on peut imaginer tout de suite que des microdoses suffiraient à faire la différence et seraient indétectables."

Au tout début de sa découverte, le biologiste Franck Zal a alerté l’Agence française de lutte contre le dopage. Il était bien conscient qu’un apport de 40 fois plus d’oxygène dans l’organisme pourrait être attrayant pour certains sportifs de haut niveau qui seraient tentés de prendre des raccourcis.

"On ne va pas se le cacher, c'est un produit dopant, bien évidemment. Dès le démarrage, on le savait, car quand on apporte beaucoup plus d’oxygène, on a un métabolisme beaucoup plus poussé; donc, dès le démarrage, on a travaillé avec l’Association française de lutte contre le dopage. On leur a donné notre produit pour qu’ils mettent en place des tests. Il y a toujours un côté de la pièce, il y a celui positif, c’est de sauver des gens, et il y a le côté négatif, c’est d’utiliser cette technologie pour d’autres buts. Mais cela, ce n'est pas la faute de la science, en fait. La science, elle veut juste découvrir, décrire"

Pour mieux contrôler les variations sanguines chez les athlètes de haut niveau, les instances de l’antidopage vont créer le passeport sanguin, qui va permettre de déceler si ces variations sont suspectes. Pour Marc Kluscinszyski, l’arrivée de cette nouvelle hémoglobine marine va pouvoir complètement contourner le passeport sanguin : Il fallait contourner l’outil du passeport sanguin qui s’intéresse à ce qui se passe dans un globule rouge. Or, ces hémoglobines animales de bovins ou de vers marins permettent d’apporter de l’hémoglobine, mais en dehors du compartiment globulaire, donc le passeport sanguin est tout à fait court-circuité.

L’amélioration de la performance en se dopant à l’EPO de synthèse n’est plus à prouver. Le cyclisme et le ski de fond sont deux sports qui ont été friands de ce type de dopage. L’hémoglobine du ver marin découverte par la société Hémarina suscite déjà des convoitises dans le milieu sportif, à la stupéfaction du biologiste français Franck Zal.

"On a été contactés par des sportifs, par des salles de sport, par des gens qui savent que cette molécule peut être dopante, mais c’est assez incroyable, car on se dit : soit ils sont complètement idiots, soit ils nous prennent pour des idiots. Il y en a même qui donnent leur nom et qui vous demandent comment on peut se procurer le produit, comment on peut l’acheter. En fait, l’EPO, c’est un peu compliqué, alors que cette molécule, elle est quasiment identique à nos globules rouges, on ne peut quasiment pas la détecter. En microdoses, c’est difficilement détectable."

Franck Zal se défend d’être responsable de cette situation. Pour lui, certains apprentis sorciers du monde sportif peuvent très bien détourner sa découverte. Nous, on publie ce qui est publiable dans des journaux scientifiques à comité de lecture. Quelqu’un qui est bien câblé, qui a fait de la science, qui sait ce que c’est la biochimie, la physiologie respiratoire, qui sait extraire des protéines, purifier des protéines, ben vous voyez, c’est libre, vous pouvez aller chercher des vers sur la plage.

L’expert en dopage sanguin Marc Klusczynski est encore plus catégorique. L’hémoglobine animale, donc cette hémoglobine de ver marin, est lyophilisée, donc disséquée par le froid, séchée par le froid, elle est donc en poudre. Il suffit de la dissoudre dans du sérum physiologique et l'injecter en intraveineuse. La conservation à température ambiante, plusieurs années. Une poche de sang, c’est six à sept semaines à quelques degrés. En plus, dans une poche de sang, vous avez 1 % des globules rouges qui sont détruits chaque jour, donc c’est un produit très sûr, c’est le Graal du dopage sanguin!

Le monde du dopage sportif a toujours suivi de près les avancées de la science en les détournant à son profit. Avec les incroyables bénéfices oxygénants du ver marin, on peut se demander quelles seront les performances de demain. Les autorités mondiales de l’antidopage devront intervenir rapidement si on ne veut pas que le ver s’installe définitivement dans la pomme.


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Cette page a été mise en ligne le 24/10/2022