Dossier dopage

Amateur et dopé, réalité d'une minorité ignorée


18/05/2017 - lagruyere.ch - Quentin Dousse

A l'instar du monde professionnel, le sport amateur n'échappe pas au dopage. Une réalité minimisée par la majorité des acteurs. Ce fléau n'étant pas consi­déré comme un enjeu de santé publique, la lutte reste modérée et se repose principalement sur la prévention.

Ils étaient près d'un millier, en ce samedi de mai, à se «tirer la bourre» à travers les forêts fribourgeoises. A La Glânoise d'Ursy, épreuve inscrite à la Coupe fribourgeoise et romande de VTT, le coureur est un populaire avant d'être un compétiteur. Ici, bon-cadeau, fromage et bouquet de fleurs font office de prize money. Tout le charme des courses amateurs.

Un microcosme sans histoire, mais qui, à recueillir les rumeurs persistantes dans plusieurs disciplines, cache une réalité parallèle: une frange de ces athlètes amateurs useraient de produits dopants malgré des enjeux insignifiants. Hormis celui de flatter son ego ou de devancer son partenaire d'entraînement. Combien étaient-ils, ces vététistes hors la loi, sur la ligne de départ à Ursy? Et ces mêmes coureurs, à la dernière Corrida bulloise? Quelques-uns, ou peut-être aucun. Impossible de le prouver au moyen des rares - et sporadiques - contrôles effectués. «Il est certain qu'il se passe également des choses chez les populaires. Cette problématique reste cependant mal étudiée», esquisse pour sa part Grégoire Schrago, médecin du sport et responsable antidopage pour une fédération nationale.

Faute de moyens engagés, les chiffres manquent aujourd'hui pour quantifier ce phénomène. Publié en 2013 par les Drs Gremion et Borloz, un recueil d'études avançait une prévalence allant de 5% à 15% parmi les sportifs amateurs, toutes disciplines confondues. (...)

Sans comparaison possible avec les chiffres avancés concernant les salles de fitness, les sports d'endurance comportent eux aussi leur lot de «chaudières», comme on les surnomme dans le milieu. Julien* en faisait partie, lui qui a écumé les classiques VTT du pays jusqu'au milieu des années 2000. Boulot, vélo, dodo: c'en était trop pour ce Fribourgeois qui a succombé au dopage «par facilité». Sa façon à lui d'atténuer la souffrance à l'entraînement. «J'ai surtout consommé des amphétamines (stimulants). Cette pastille, avec son effet euphorisant, avait changé mon rapport à la souffrance. Le résultat était incroyable sur le vélo. J'avais le "bouton de la douleur" éteint. Celle-ci ne disparaissait pas, mais je parvenais à l'aimer.»

Julien ne s'est pas arrêté aux seules amphétamines. Sa pharmacie contenait aussi stéroïdes anabolisants, cortisone, hormones de croissance et même, pour une seule prise, érythropoïétine (EPO). Si le Fribourgeois se permettait de tricher, c'est qu'il n'a jamais redouté le contrôle. «Je n'en ai jamais subi, malgré mon niveau qui avait rapidement augmenté grâce à ces aides.»

Une telle pratique demeure heureusement minoritaire dans les pelotons populaires. Reste que Julien entrait dans la catégorie dite «à risque» selon les spécialistes: celle de ces amateurs tutoyant le niveau élite, figurant dans le premier dixième au classement. En 2013, cette tranche de sportifs avait été la cible d'une vaste opération menée par le Laboratoire suisse d'analyse du dopage (LAD) et Antidoping Suisse. A l'arrivée du Grand Prix de Berne, 151 échantillons d'urine avaient été prélevés auprès de ces coureurs. Résultat: deux cas (un diurétique et un taux de testostérone trop élevé) avaient alors été enregistrés. «Etonnamment faible» aux yeux des experts.

Cette expérience avait suffi à Matthias Kamber, directeur d'Antidoping Suisse, pour proclamer la «course à pied amateur propre». Une conclusion qui demande confirmation pour Martial Saugy, directeur du Centre de recherche et d'expertise des sciences antidopage (REDS) à Lausanne. «En l'état actuel, on est obligé de parler du dopage amateur comme une légende urbaine. Même si on sait qu'il y a, en réalité, davantage de cas que ceux dénoncés (n.d.l.r.: dix athlètes font actuellement l'objet d'une suspension en Suisse). Cette question mériterait une réponse qui n'appartient pas au fantasme.»

(...)

Tous les acteurs consultés au cours de notre enquête reconnaissent un flou autour de ce sujet. D'autant qu'un amateur dopé représente une potentielle source «d'inspiration» au sein de son microcosme. «Si la tricherie n'est pas repérée, on peut de fait redouter l'effet boule de neige», juge Grégoire Schrago. L'exemple de Julien atteste le propos: «Je fournissais plusieurs autres coureurs, car le dopage coûtait cher et seules les grandes quantités permettaient d'obtenir des prix. Tu deviens en quelque sorte un trafiquant», raconte ce vététiste, qui a toujours travaillé en parallèle à son sport.

Face à ce fléau, les solutions ne sont pas légion. «Je ne sens nulle part une volonté d'agir, regrette Martial Saugy. Pourtant, il en va de la crédibilité des performances auprès de la population.» Au médecin Grégoire Schrago de conclure, le ton fataliste. «Les chances d'épingler un populaire sont minimes. Et même si on y parvenait, celui-ci pourrait sans autre prendre le départ d'une compétition située loin de chez lui, là où il n'est connu de personne.» En veillant - cette fois-ci - à rester hors de tous les écrans radars.

*Prénoms d'emprunt


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Cette page a été mise en ligne le 20/11/2017