Dossier dopage

La grande mutation du dopage sanguin


18/06/2007 - Courrier International - Carlos Arribas (El País - Madrid)

L'examen des échantillons prélevés sur les coureurs cyclistes permet de comprendre comment les pratiques dopantes évoluent au fil des années. Des résultats qui ébranlent le mythe de sportifs dotés d'une constitution exceptionnelle.

L'image semblait banale, mais elle s'est révélée vraie : les cyclistes, du moins certains d'entre eux, sont faits d'un bois spécial. Et s'ils ne sont pas en bois, (...) leur chair et leur sang sont spéciaux, différents de ceux des autres mortels. Et, de plus, ils sont spéciaux d'une façon très spéciale, très organisée, collective : en effet, leurs paramètres sanguins changent par vagues, au gré des modes.

Alors que toutes les études des spécialistes montrent que les variations du taux d'hématocrites - les globules rouges, la partie solide du sang - d'une personne ne peuvent excéder 15 % lorsqu'il n'y a aucune pathologie, chez des dizaines de cyclistes (...) elles peuvent atteindre 30 % en quelques semaines à peine. Il en va de même de leur taux d'hémoglobine - la molécule qui transporte l'oxygène au cerveau -, qui peut connaître des variations allant de 20 à 40 %, contre un maximum de 10 % chez les autres êtres humains.

Il y a aussi les modes. En 2001 et 2002, la tendance chez les coureurs de toutes catégories - juniors, professionnels, routards, pistards et grimpeurs - était au pourcentage élevé de réticulocytes (les globules rouges qui viennent de naître), alors qu'en 2003 et 2004 la mode était au contraire à un sang "adulte" de meilleure qualité, avec peu de réticulocytes.

(...)

Mario Zorzoli, médecin suisse et responsable du service médical de l'Union cycliste internationale (UCI), est l'homme qui connaît le mieux le sang des cyclistes. Il a publié dans un article scientifique les valeurs qu'il a récoltées dans les milliers d'analyses qu'il épluche chaque année depuis dix ans. Ce document serait aussi valable qu'un autre (...) pour quiconque voudrait dresser une carte du cyclisme depuis le début du XXIe siècle. Le résultat serait affligeant : ce serait la carte d'une ignominie.

En mars 2002, pendant les Jeux olympiques de Salt Lake City, plusieurs skieurs (...) ont été contrôlés positifs à l'Aranesp, une sorte d'EPO à longue durée d'action que l'on croyait indétectable. Peu après, et comme obéissant à un signal, les paramètres sanguins dans les contrôles de routine réalisés par les médecins de l'UCI la veille des épreuves ont commencé à montrer des variations importantes : le taux de réticulocytes des coureurs, jusqu'alors supérieur en moyenne à 1 %, était descendu à moins de 1 %. Dans presque 200 analyses, soit 10 % du total, il avait chuté à moins de 0,4 %. "Ces valeurs, associées à une augmentation du taux d'hémoglobine, nous mènent à conclure que certains coureurs ont changé de façon de se doper ", explique Zorzoli. "Ils ont arrêté de prendre de l'Aranesp, une substance plus puissante que l'EPO qui fait grimper les réticulocytes au plafond, ou de s'injecter de fortes doses d'EPO par voie intraveineuse, et sont passés soit aux microdoses par voie sous-cutanée, soit aux transfusions de sang, qui se traduisent par un petit nombre de réticulocytes et beaucoup d'hémoglobine."

(...)

Tous les sportifs dont les analyses présentent des résultats anormaux ou une évolution étrange de leurs paramètres sont suspectés de dopage sanguin et doivent se soumettre à des tests de recherche d'EPO ou de preuves de transfusion.

Mais, comme il n'existe aucun moyen de détecter les autotransfusions et qu'il est très difficile de déceler l'EPO dans l'urine, le nombre d'athlètes contrôlés positifs reste très insatisfaisant pour les autorités. Dans son article, Zorzoli rappelle qu'il a fallu plus de deux ans pour "épingler" un coureur dont les paramètres étaient plus que suspects. Le taux élevé d'hématies et de réticulocytes (2,3 %) qu'il présentait au début d'une course en juillet 2002 lui ont valu un suivi personnalisé. A mi-course, non seulement son taux de globules rouges n'avait pas baissé de 3 %, comme cela aurait été normal, mais il avait considérablement augmenté, alors que ses réticulocytes avaient presque disparu (0,3 %). Ces valeurs prouvaient indirectement que le cycliste s'était injecté de l'EPO pendant la course : il a fallu pourtant attendre 2003 pour qu'il soit contrôlé positif.

Mais ce n'est qu'en mai 2006 que Zorzoli a eu la confirmation que son analyse était correcte et que la circulation d'EPO et des transfusions n'était pas qu'une rumeur, lorsque le monde entier a appris le démantèlement, dans le cadre de l'Opération Puerto, d'un réseau de dopage dirigé par Eufemiano Fuentes. Les poches de sang qui provoquaient la valse des paramètres sanguins (...) existaient bel et bien (...). Une nouvelle mode dans les valeurs hématologiques est alors apparue pour 2006-2007, mais Zorzoli ne veut pas s'étendre sur les informations qu'il reçoit dans son bureau suisse. "La seule chose que je puisse dire, c'est que les valeurs redeviennent normales et que les réticulocytes recommencent à monter", explique-t-il. Autrement dit, il y a moins de transfusions. "Mais je ne veux pas dire si je dispose de données permettant de penser que les sportifs ont trouvé une autre façon de se doper."


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Cette page a été mise en ligne le 15/07/2007