Entretien



Reed Albergotti : "Je veux croire en la possibilité d'une Commission Vérité et Réconciliation"

20/03/2014 - cyclisme-dopage.com - Stéphane Huby


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Entretien avec Reed Albergotti, co-auteur du livre "Lance Armstrong, itinéraire d'un salaud".

C&D : Le titre français de votre livre pointe Lance Armstrong, pourtant votre livre ne va-t-il pas au-delà ? Ne pointe-t-il pas plutôt un système ?

RA : En effet, ce n'est pas seulement l'histoire de Lance Armstrong. C'est l'histoire d'un groupe de personnes qui se sont regroupées avec l'objectif d'avoir une équipe américaine dans le Tour de France et de le gagner. Si ça n'avait pas été Lance Armstrong, ça aurait été un autre. Il n'aurait peut-être pas été aussi doué. Ou il aurait peut-être été encore plus doué. Qui sait. Mais il y aurait eu quelqu'un.

C&D : Ce que vous décrivez c'est un système dans lequel chacun, des coureurs aux managers, des journalistes au grand public, des organisateurs aux dirigeants du cyclisme, porte une part de responsabilité...

RA : Absolument, autour d'Armstrong gravitaient par exemple des personnes qui se sont enrichies grâce à lui ou des politiciens qui ont accru leur influence grâce à lui. Même si on ne peut pas (encore) prouver qu'ils savaient ce qui se passait, nous montrons qu'ils ont délibérément fermé les yeux sur ses agissements. A moins d'être complètement idiot, vous ne pouviez pas ignorer.

C&D : Comment expliquez-vous que la suspicion qui a entouré Armstrong dès 1999 en Europe ait pu mettre autant de temps à traverser l'Atlantique et à gagner une partie de vos compatriotes ?

RA : Les medias américains sont vraiment responsables de ce décalage. Personne, dans aucun grand media, n'a pris la peine de se pencher sur cette histoire. Personne n'a voulu le faire parce qu'Armstrong était un héros. Faire apparaître sa part d'ombre ne collait pas avec l'histoire. Aucun journaliste n'y avait intérêt. C'est triste mais pour moi ça s'est révélé une opportunité. J'étais fasciné par cette histoire et je ne pouvais pas comprendre qu'aucun media ne la sorte aux Etats-Unis. J'ai lu tout ce que j'ai pu. J'ai lu le travail de David Walsh, Pierre Ballester, Damien Ressiot et j'ai compris de quoi il retournait. Clairement, Armstrong était un tricheur, un menteur. Il m'a fallu convaincre le Wall Street Journal, qui est d'abord une publication financière, de s'intéresser à Armstrong. Et pour ce faire, il nous a fallu expliquer qu'il ne s'agissait pas que de lui mais aussi d'hommes d'affaires dont nous parlions dans nos colonnes.

C&D : A quelle époque était-ce ?

RA : A partir de 2006. Bien tard pour vous, mais bien en avance pour un Américain. A cette époque, il y avait l'Opération Puerto, le contrôle positif de Tyler Hamilton, l'affaire Balco. Toutes ces affaires remontaient à la surface pour la première fois aux USA. Je n'avais jamais écrit sur le sport avant cela mais j'étais un fan de cyclisme. J'ai écrit un long article à propos de l'UCI et d'Hein Verbruggen. Il n'a pas été publié ! Le Wall Street Journal pensait que ça n'intéresserait pas ses lecteurs. Mais quand Armstrong a annoncé son retour, fin 2008, les choses ont changé.

C&D : Un comeback qui a sans doute été sa plus grande erreur, un péché d'orgueil !

RA : Tout à fait. Sans cela les choses en seraient restées là pour lui. J'ai passé beaucoup de temps avec Floyd Landis. Il était tellement furieux de ce retour. Il avait été contrôlé positif, suspendu, il avait purgé sa peine et il pensait pouvoir revenir comme tant d'autres avant lui. Mais ça ne s'est pas passé comme ça. Il était devenu un paria. Et quand il a vu Armstrong revenir, avec tous les soupçons qui lui collaient aux basques, quand il a vu que tous les américains lui dérouler le tapis rouge, notamment les organisateurs du Tour de Californie et les responsables de Radioshack, il a trouvé cela terriblement injuste. Il a cherché à se faire embaucher dans l'équipe Radioshack mais on lui a fermé la porte parce qu'il était trop controversé. Alors que c'est surtout Armstrong qui aurait dû susciter la controverse. Sans cela, Landis aurait peut-être tout déballé, sur ses vieux jours, mais l'impact aurait été totalement différent. Ça n'aurait pas entrainé la chute d'Armstrong.

C&D : Pensez-vous que Floyd Landis aura gain de cause dans son action en justice contre Armstrong ?

RA : Je ne pense pas que la procédure ira à son terme. Il y a trop d'argent en jeu pour Armstrong. Ses avocats vont rechercher un arrangement financier. Mais il va devoir payer et Landis va récupérer de l'argent.

C&D : Comment va Floyd Landis ? Dans quel état d'esprit est-il ?

RA : Je crois qu'il va plutôt bien. Il reconstruit sa vie sur la côte Est. Dans cette histoire, il y a des personnes qui ont agi de façon remarquable, parfois contre leur propre intérêt. Landis en fait partie. Tout comme Greg Lemond ou Betsy Andreu.

C&D : Et Lance Armstrong, comment va-t-il ?

RA : Quand les investigations de la justice américaine ont commencé, il était au plus bas, déprimé. Il avait peur. Il pensait juste à éviter la prison. Quand l'enquête de Jeff Novitzky a été abandonnée, il était au plus haut, heureux. Mais quand l'USADA a repris l'enquête, il est retombé et je pense que maintenant, il est entre deux eaux, dans une sorte de purgatoire. Mais je pense qu'il est trop orgueilleux pour se laisser complètement aller. C'est un tel compétiteur.

C&D : De nombreux acteurs n'ont pas vraiment été inquiétés, notamment des clients de Ferrari qui ne dépendent pas de l'USADA. Des ramifications du dossier sont-elles encore possibles ailleurs qu'aux USA ?

RA : Le problème désormais est que la plupart de ces faits sont couverts par la prescription. Mais il y encore tellement de choses à découvrir que je veux croire en la possibilité d'une Commission Vérité et Réconciliation, où chacun pourrait venir dire la vérité. A mon avis, et c'est un argument que j'ai souvent utilisé pour convaincre mes interlocuteurs de parler pour ce livre ou pour mes articles, si vous dites la vérité maintenant, si vous posez tout sur la table, ça va être douloureux maintenant, mais pour la suite, vous vous sentirez tellement mieux. Et le sport ira tellement mieux. C'est un tel poids que vous enlevez de vos épaules. C'est ce qu'a fait Landis. Ça doit être l'objectif maintenant. Ne pas poursuivre les gens pour leurs fautes mais simplement obtenir la vérité pour le bien du sport.

C&D : Pensez-vous qu'Armstrong ira devant la CIRC (Commission Indépendante de Réforme du Cyclisme) ?

RA : Il dit qu'il y est prêt. Mais peut-on croire tout ce qu'Armstrong dit ? Et je pense que, compte-tenu des procédures judiciaires en cours, ses avocats lui diront qu'il ne peut pas le faire. Ça pourrait lui couter très cher.

C&D : Pensez-vous qu’un autre Armstrong est possible dans le cyclisme d’aujourd’hui ?

RA : Je pense que oui. La culture a l’air de changer mais nous savons qu’il y a toujours des managers, des médecins d’équipes ou des entraîneurs dans ce sport qui ont été impliqués dans l’organisation du dopage.

Entretien réalisé le 6 mars 2014



Cette page a été mise en ligne le 20/03/2014