Actualité du dopage

« Quelque chose d'anormal avec Pogacar » : un ingénieur aéronautique analyse le Tour de France


- ouest-france.fr - Vincent Coté

Frédéric Portoleau est ingénieur en aéronautique et mécanique des fluides. Il multiplie les publications sur le site chronoswatts.com, depuis des années, dans lesquelles il analyse scientifiquement les performances des cyclistes, notamment sur le Tour de France. Son acolyte, l'ancien entraîneur Antoine Vayer, étudie ses calculs et les commente sans nuance. Leur constat sur le peloton, avec du potentiel dopage, est accablant.

La puissance développée par un coureur fait l'objet de débats chaque été, sur le Tour de France, spécialement lors des ascensions en montagne. L'édition 2025 ne devrait pas échapper à la règle. Définir le profil de puissance de chaque coureur, c'est justement la spécialité de Frédéric Portoleau, ingénieur en aéronautique et mécanique des fluides. (...)

Comment avez-vous commencé à vous intéresser aux calculs de puissance des cyclistes ?

Dès les années 1990, quand j'étais étudiant en sciences physiques, je me suis intéressé à cette donnée. Après, j'ai fait mes premiers calculs sur moi, pour voir combien j'étais capable de développer au vélo. Puis j'ai voulu comparer avec ce que faisaient les coureurs professionnels.

Quels sont vos critères et votre méthodologie ? Pour quelle fiabilité ?

Il faut d'abord rappeler ce qu'est la puissance. Quand on a un système en rotation, la puissance est le produit de la force fois la vitesse de rotation. Et pour développer de la puissance, en vélo, il faut à la fois mettre un grand braquet, donc exercer de la force, et tourner vite les jambes.

Avez-vous besoin d'éléments comme le poids du vélo, du coureur, la vitesse du vent, l'aspiration ?

On utilise un modèle qui simule l'effort du cycliste. Le critère principal, c'est la masse du vélo et du coureur. Ensuite, il faut connaître l'aérodynamisme du coureur. Et après, les forces de frottement au niveau des pneumatiques et du vélo. Puis connaître la pente, le pourcentage de la route. Pour ça, il faut avoir des données cartographiques le plus précises possible, avoir les altitudes de départ et d'arrivée, et mesurer la distance sur la route.

Comment faites-vous pour évaluer ces poids ?

Les poids des vélos, on les connaît. Avec la règle des 6,8 kg, les vélos sont souvent autour de 7 kg. Après, il faut ajouter les chaussures, les vêtements. Comme on ne connaît pas bien les poids des coureurs, si on a une marge d'erreur importante sur le poids, on va avoir une erreur sur l'estimation de puissance. Le poids étalon, c'est un coureur de 70 kg. On le met dans le peloton et on regarde combien il développe. Ça, ça nous donne une échelle de référence. On a à peu près une centaine de coureurs. J'ai une banque de données disponible. Et après, pour chaque coureur, j'essaie de voir ce qu'il faisait les années précédentes, s'il est toujours dans son profil de puissance. Le profil de puissance, c'est une notion importante. La puissance développée dépend de la durée de l'effort, surtout quand on cherche à faire un effort maximal.

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Pouvez-vous détailler à quoi correspond ce profil de puissance ?

Chaque coureur a un profil de puissance. Soit c'est un grimpeur, un sprinteur, un puncheur. Le puncheur, il est très fort dans les efforts de 2 à 5 minutes. Le grimpeur, c'est au-delà de 10 minutes. De 10 à 40 minutes, souvent. Et de manière indirecte, on ne peut faire que des estimations à partir d'un effort de 5 minutes à peu près. Donc on n'a pas accès, quand on calcule les puissances moyennes, à ce que font les sprinteurs. On s'est mis une règle aussi, c'est de faire des calculs à des vitesses inférieures à 25 km/h. Au-delà de 25, l'aérodynamisme commence à compter.

Est-ce donc pour ça que vous travaillez beaucoup sur les ascensions ?

Exactement. L'autre paramètre important, c'est le vent. Parce que s'il y a trop de vent, il y a un risque d'erreur dans l'estimation. Et pour ça, il faut se mettre, si possible, dans les zones abritées en forêt.

À l'issue d'une étape de montagne, vous publiez vos calculs. Sont-ils aussitôt interprétés ?

Oui, je les transfère à Antoine Vayer (...). Il travaille depuis plus de vingt ans. Et il exploite les données pour dire : « Ça, c'est possible. Ça, ce n'est pas possible. » Après, c'est lui qui fait une interprétation par rapport à un dopage éventuel. Parce qu'il est entraîneur diplômé. Il a des connaissances, il est légitime.

Comment peut-on décréter qu'une performance est normale ou pas ?

J'essaie de tempérer Antoine Vayer dans ses propos. Pour moi, il y a une zone grise du passage de coureur propre vers le dopage. Et il faut plus parler de probabilité de dopage que de preuve vraiment de dopage. Parce que c'est compliqué d'avoir une preuve formelle de dopage tant qu'on n'a pas un contrôle positif.

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Comment déterminez-vous ces probabilités de dopage ?

C'est plus facile à faire pour un coureur expérimenté. Parce qu'à 20 ans, on est en phase de progression. À partir d'un certain nombre d'années de professionnalisme, on doit se stabiliser. Son profil ne doit plus trop changer. Après, on a vu des cas flagrants. Comme Mark Padun, qui avait fait des performances exceptionnelles (sur le Dauphiné 2021). Cette méthode l'avait révélé. Jonas Vingegaard, par exemple, avant 2021, ne montrait pas les signes de futur vainqueur de Tour de France. Et puis, il a fortement progressé. Là aussi, c'est troublant. Après, on se sert de l'expérience d'Antoine. Il a vu des progressions assez fortes sur des coureurs qui ont triché chez Festina. Et on a aussi une base de référence avec des coureurs propres, comme Christophe Bassons, Jean-Christophe Péraud et Thibaut Pinot. Ce qui est troublant, c'est quand des coureurs sont bien de mars à octobre. Ou au top dans un grand Tour du premier au dernier jour.

Comme Tadej Pogacar en 2024 ?

Oui, c'est ça, alors que le niveau d'ensemble ne cesse de monter. C'est de plus en plus improbable d'avoir des coureurs comme Merckx, qui dominait tout. À son époque, il y avait beaucoup moins de rivaux de même niveau, moins de densité. Pour Pogacar, on a détecté des données qui étaient au-dessus de son profil de puissance habituel, lors du précédent Tour.

Comment est-ce possible ?

Je ne connais pas sa méthode de préparation, mais pour 2024, il s'est remis en route avec des données supérieures à ce qu'il faisait entre 2020 et 2023. Surtout au plateau de Beille et Isola 2000.

Cela voudrait-il dire qu'il continue sa progression physique ?

Soit il continue sa progression physique, soit il y a quelque chose d'anormal.

Croyez-vous à la fraude technologique ?

Non. Il faut pouvoir masquer tout le matériel, déclencher le moteur au bon moment, qu'il y ait assez de batterie. Ce serait une prise de risque assez importante. Je crois plus, s'il y a dopage, à des méthodes de dopage sanguin.

Y a-t-il d'autres coureurs qui vous interpellent ?

Mathieu van der Poel est impressionnant. On aimerait bien suivre de plus près ce qui se passe dans les classiques, mais comme on ne peut pas faire des estimations de puissance sur des efforts courts, style 30 secondes, une minute Il y a peut-être quelque chose à ce niveau-là, mais on n'est pas capable de sortir des chiffres de watts.

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Le matériel est plus élaboré, cela explique pourquoi ça roule plus vite.

Dans les montées à 20 km/h, ça ne joue pas énormément. Les vélos ont pas mal progressé sur le plan de l'aérodynamisme. Mais c'est surtout intéressant à plus de 30 km/h. Chaque année, je revois la méthode et je réajuste les différents coefficients pour m'adapter au matériel. Ça peut expliquer, par exemple, 10 à 15 watts d'écart avec pour une même vitesse.

En termes de watts étalon, quels sont les seuils alarmants ?

Quand on est sûr de notre calcul, on peut estimer une probabilité de dopage. Ça dépend de la durée de l'ascension, en fait. Sur les grands Tours, on fait des moyennes sur les longues montées. Antoine Vayer a fixé des seuils, sur une montée de 30 minutes, à 410, 430, 450. Plus on monte vers les watts, plus la probabilité de dopage augmente. En dessous de 410, on ne dit rien. Entre 410 et 430, c'est la zone grise. Et plus de 430, ça devient une probabilité de dopage élevée. Par exemple, on peut avoir cinq montées à 430 watts de moyenne, et après, on est proche de 450. On retrouve ça avec Marco Pantani ou Pogacar l'année dernière.

Utilisez-vous Strava ?

Oui, pour faire des vérifications. À une certaine époque, il y avait beaucoup de capteurs de puissance allemands, SRM, qui étaient utilisés par les équipes professionnelles. Là, il y avait des données beaucoup plus fiables, au moins pour la puissance brute. Le poids, on ne sait jamais. On a d'autres capteurs qui sont moins fiables. On n'a pas confiance dans ce que Shimano annonce. Malheureusement, Strava n'est plus une source très fiable au niveau des watts publiés.

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Cet article a été mise en ligne le 11/11/2025