Actualité du dopage

Tour de France : comment les coureurs contournent les contrôles


18/07/2013 - lemonde.fr - Rémi Dupré (à Gap) et Stéphane Mandard


"On tape. On n'a jamais tapé comme ça. Dès qu'un profil sanguin fait apparaître une variation suspecte, on cogne. Jusqu'à 21 h 30 le soir et on remet ça à 6 heures le matin." Sur la route du Tour de France, les contrôleurs antidopage n'y vont pas de mainmorte. "On n'a jamais bossé comme ça, confie au Monde un observateur avisé qui n'en est pas à sa première Grande Boucle. En deux jours, la moitié du peloton y est passée."

Cette stratégie de harcèlement n'a pas - encore - débouché sur un contrôle positif mais irrite certains coureurs : "Il y en a qui râlent et ça se voit sur leurs performances." Pas sur celles du maillot jaune. (...) Le leader de Sky fait partie des coureurs les plus contrôlés depuis le départ de l'épreuve. "Il a un coup d'avance", commente la même source, "son passeport biologique est parfaitement lisse".

Ledit passeport biologique a été mis en place par l'UCI afin de détecter les variations des profils hématologiques ou endocrinologiques pouvant indiquer la prise de produits dopants. Sur le Tour, l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) s'en sert pour cibler les contrôles urinaires et sanguins. Le problème, c'est qu'il est aujourd'hui détourné de son usage par certains coureurs et leurs préparateurs qui s'en servent comme d'une boussole pour gérer les variations induites par les protocoles de dopage. "Certains médecins d'équipe réveillent les coureurs à 5 heures avant le passage des contrôleurs afin d'ajuster les valeurs", confirme le spécialiste qui note que pour présenter des profils sans variations suspectes dans le temps, la solution est simple : "Des micro-doses de tout, tout le temps." Et c'est valable pour l'EPO comme pour les transfusions sanguines.

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Fini les injections de poches d'un demi-litre de sang du bon docteur Fuentes. Trop visible. Aujourd'hui, la mode est aux mini-poches de sang. "Des équipes se déplacent avec des broyeuses dans les hôtels. Ça leur permet de détruire les poches une fois utilisées et de s'en débarrasser ni vu ni connu dans les toilettes, révèle l'expert. Il faudrait que la police fasse des descentes dans les hôtels en coupant l'eau." La police, en l'occurrence l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (Oclaesp), a détaché des hommes sur le parcours du Tour. Mais comme les contrôleurs antidopage, ils sont bredouilles.

En 2012, les enquêteurs de l'Oclaesp avaient interpellé Rémy Di Grégorio, soupçonné de pratiquer l'ozonothérapie (...). Les contrôleurs de l'AFLD avaient attrapé le Luxembourgeois Frank Schleck (...) positif au Xipamide (diurétique). Pour le président de l'AFLD, Bruno Genevois, l'absence de cas positifs sur le Tour 2013 "ne permet pas de tirer des conclusions tranchées sur une réduction des pratiques interdites". "Quinze jours après la fin du Tour, on devrait connaître l'ensemble des analyses urinaires et sanguines, explique-t-il. Il ne faut pas oublier que le passeport biologique impose d'autres délais. Avec l'accord de l'Union cycliste internationale, on procédera aussi à des analyses rétrospectives en conservant des échantillons durant quatre ans." Comprendre qu'il faudra encore attendre quelques jours, ou quelques années, pour connaître les cas positifs du Tour 2013.

En collaboration étroite avec l'UCI, l'AFLD mène, cette année, une politique de contrôles "plus ciblés" et "plus inopinés", précise Bruno Genevois. "Outre les prélèvements faits sur l'ensemble du peloton quarante-huit heures avant le départ, on cible aussi des individus durant la compétition selon leurs performances, surtout si elles sont contradictoires, développe-t-il. Il y a encore des coureurs tirés au sort mais c'est mieux de les cibler au dernier moment. Il y a moins de cas positifs mais cela pourrait aussi induire de nouveaux protocoles savants pour échapper aux contrôles."

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De facto, les progrès de la pharmacopée désorientent les autorités en charge des contrôles. "On n'éradiquera jamais le dopage, note Michel Audran, professeur en pharmacie à l'université Montpellier-I. On pourra toujours contourner les méthodes de détection. Les cas positifs à l'EPO sont rares mais les autotransfusions sanguines sont indétectables tout comme les micro-doses. On peut être clean à 6 heures du matin après des prises la veille à 23 heures." Parmi les nouveaux produits dopants en vogue, le spécialiste du dopage sanguin cite l'Aicar, substance détectable, interdite par l'Agence mondiale antidopage (AMA) et qui permet d'augmenter la masse musculaire tout en brûlant les graisses. "On a observé qu'elle favorisait l'endurance chez les souris, précise Michel Audran. Mais elle n'a jamais été testée sur les hommes..." Pourtant, en mars, le coureur russe Valery Kaykov (Rusvélo) a bien été contrôlé positif à cette substance ainsi qu'au GW1516, un modulateur métabolique vendu au marché noir.

Un an plus tôt, le controversé Alberto Beltran Nino, ex-médecin de l'équipe espagnole Xacobea Galicia, avait été interpellé à l'aéroport de Madrid avec de l'Aicar dans ses valises. Le praticien colombien transportait également du TB500, un peptide de 43 acides aminés synthétisé par le laboratoire vétérinaire australien DB Genetics LLC. Outre ses propriétés cicatrisantes et anti-inflammatoires, ce produit agit sur le développement musculaire et la vascularisation. Le 1er juillet 2011, la veille du départ du Tour de France, Wim Vansevenants, chauffeur de l'équipe belge Omega Pharma-Lotto, avait, lui aussi, été arrêté en possession d'un colis de TB500.

"Les tricheurs auront toujours un temps d'avance, explique Marc Kluszczynski. On tend vers un dopage de récupération, plus lissé et moins frappant." Selon ce docteur en pharmacie, les autorités antidopage devraient s'intéresser à une toute nouvelle molécule : le GAS6. Lundi 15 juillet, Thomas Frei - ex-coureur suisse de l'équipe BMC contrôlé positif à l'EPO en 2010 - a mentionné pour la première fois ce mystérieux assemblage chimique sur son compte Twitter. "Le GAS6 a déjà circulé lors du dernier Giro. Il appartient à la jungle des facteurs de croissance par synthétisation qui sont indétectables, décrit Marc Kluszczynski. Il favorise la sécrétion d'EPO endogène, notre corps en fabriquant. C'est aussi valable pour les inhibiteurs de l'HIF et d'autres hormones indétectables et qui ne figurent pas sur la liste noire de l'AMA."

La prolifération de ces nouvelles substances pourrait rendre encore plus ardue la mission des autorités de contrôle. "On a bossé dur, on a beaucoup surveillé, confie une source policière. Mais en face, on a des gars très bien organisés, très discrets. Trop professionnels pour se faire avoir."


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Cette page a été mise en ligne le 19/07/2013