Dossier dopage

Drogue : les nouvelles routes de la méthamphétamine


30/03/2012 - lemonde.fr - Louis Imbert

Le 8 février, dans un ranch des faubourgs de Guadalajara, capitale de l'Etat de Jalisco, l'armée mexicaine saisissait quinze tonnes de poudre blanche (...) : de la méthamphétamine, une drogue de synthèse puissante, très populaire aux Etats-Unis. Quinze tonnes, soit 13 millions de doses qui auraient pu se vendre au détail pour 3 milliards d'euros dans les rues de Détroit ou de Los Angeles. Cette prise est la plus importante jamais réalisée au Mexique. Elle représente l'équivalent de la moitié des saisies de "meth" recensées par l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) à travers le monde en 2009. Le laboratoire clandestin était désert.

L'armée a exhibé fièrement ces barils devant les photographes mexicains et américains. La Drug Enforcement Agency (DEA) américaine s'est montrée moins enthousiaste dans la presse : combien d'installations industrielles de cette taille sont-elles encore tapies dans les campagnes de Jalisco ou dans les montagnes du Michoacan, se demandaient ces policiers. C'est le raisonnement Breaking Bad, du nom de la série américaine aux six Emmy Awards. Un professeur de chimie atteint d'un cancer s'y met à "cuisiner" de la méthamphétamine dans un camping-car. Il découvre au fil des saisons l'ampleur d'une industrie tenue par les cartels mexicains.

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Selon les experts de l'ONUDC, la taille de l'usine mexicaine est un signe de l'augmentation inquiétante de la production mondiale. Elle est cependant une sorte d'anachronisme. "Une telle saisie coûte trop cher aux trafiquants, qui semblent avoir réduit la taille de leurs installations ces dernières années", explique Beate Hammond, qui étudie les flux de drogues de synthèse pour l'ONUDC à travers le monde. Au lieu de concentrer leur production, ils la dispersent. "Une tendance jamais vue", selon Mme Hammond, qui voit les centres de production de cette vieille drogue, connue depuis la fin du XIXe siècle et internationalement combattue depuis les années 1970, se répandre soudainement à travers le monde, de façon manifeste depuis deux ans.

"La 'règle' a longtemps été que les drogues de synthèse étaient fabriquées à côté des marchés de consommation et peu intégrées dans les réseaux internationaux, précise Laurent Laniel, analyste à l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT). Aujourd'hui, cette règle ne s'applique plus à la méthamphétamine."

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La méthamphétamine, dite aussi "ice","crystal" ou "Yaa Baa", "le médicament qui rend fou" en Thaïlande, est une drogue de synthèse consommée par environ 1 % de la population américaine âgée de plus de 12 ans, selon le département de la santé américain. (...) Elle est la drogue la plus consommée au Japon, signalée par la police dans environ 75 % des cas d'abus de drogue. De même pour l'ensemble de l'Asie du Sud-Est. En France, elle reste cantonnée à un tout petit monde lié à la nuit, à la fête, au milieu gay.

Un quart de gramme de méthamphétamine, vendue en cristaux, en poudre ou en comprimés et qui s'inhale, s'avale, s'injecte ou se fume (elle est en ce dernier cas plus dangereuse), peut suffire à tenir un week-end entier sans nourriture ni sommeil. (...)

La méthamphétamine agit sur les mécanismes de récompense et de plaisir, en activant la production de neurotransmetteurs dans le cerveau, notamment de dopamine, et en bloquant leur retour dans des "poches" de stockage. A la différence de la cocaïne, la "meth" bloque également les enzymes régulant les substances intrusives, ce qui lui permet de "flotter" sur une longue période dans le système nerveux central. Ainsi, quand la cocaïne peut agir environ 45 minutes, et l'amphétamine, moins puissante, entre 3 et 6 heures, la méthamphétamine prolonge ses effets sur une période de 8 à 24 heures.

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En bloquant les récepteurs des neurotransmetteurs, la méthamphétamine les endommage. Elle peut ainsi réduire à vie la production naturelle de dopamine (donc l'aptitude au plaisir), et entraîner des tremblements et contractions musculaires proches de ceux provoqués par la maladie de Parkinson. Elle peut également endommager les vaisseaux sanguins dans le cerveau et provoquer des crises cardiaques.

La méthamphétamine est d'abord aimée des trafiquants parce qu'elle peut se fabriquer "n'importe où, dans une grotte ou un hangar, avec quelques bidons, un bec bunsen et trois bouteilles de gaz... Avec deux ou trois vans chargés de matériel, trois personnes peuvent produire entre 10 et 50 kg par semaine", détaille Laurent Laniel. A condition qu'ils ne se fassent pas sauter en préparant leur tambouille : l'opération est hautement explosive.

Aux Etats-Unis, la police a démonté 6 768 laboratoires en 2010, pour la plupart de petites installations. Dans le même temps, la production explosait au Mexique. (...) Les experts dénoncent le cartel de Sinaola, l'organisation criminelle mexicaine la plus organisée et internationalisé. Mais l'armée du pays devenant plus curieuse, "les laboratoires semblent aujourd'hui se déplacer vers le sud", selon Mme Hammond : vers le Guatemala et le Nicaragua notamment.

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Dans le même temps, les agences de l'ONU observent l'émergence de nouveaux centres de production, notamment au Moyen-Orient. En Iran (...) l'armée et la police ont démantelé 166 laboratoires en 2010, contre seulement 6 en 2009, et saisi 3 tonnes de crystal meth entre mars et décembre 2011.

"Ce crystal semble d'abord destiné à l'Asie. La demande y est suffisamment forte pour que la drogue venue d'Iran, et peut-être celle du Mexique, trouve sa place à côté de la production locale", avance Hamid Ghodse, patron de l'Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS), lié à l'ONU.

Les avis d'experts divergent sur ce point. "J'attends de voir de vraies cargaisons de pilules mexicaines arriver en Asie du Sud-Est, où la production locale est déjà importante", rétorque Pierre-Arnaud Chouvy, géographe chargé de recherche au CNRS et spécialiste de la production de drogue dans la région. "De plus, ces réseaux sont souvent plus artisanaux, moins liés au crime organisé et à des organisations politiques qu'on ne le croit" : c'est la balance du local et de l'industriel. (...)

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L'ONU craint également de voir l'Afrique de l'Ouest devenir une étape sur les routes de la drogue d'Amérique du Sud. C'est déjà le cas pour la cocaïne, qui y transite avant de filer en Europe. En juin 2011, un premier laboratoire de grande ampleur a été démantelé au Nigeria, dans une maison anonyme d'un quartier résidentiel de Lagos. En février, trois Boliviens ont été arrêtés dans un second laboratoire. Et les arrestations de "mules", qui transportent la drogue par avion vers la Thaïlande et la Malaisie, sont en nette hausse : plus d'une centaine par an, selon l'ONUDC.

En Europe, la consommation reste relativement faible. Un foyer historique est établi en République tchèque, reliquat d'une usine chimique de l'époque soviétique, dont les stocks alimentaient discrètement les cuisiniers de meth. L'Allemagne s'inquiète d'une hausse des interpellations à sa frontière, et les pays nordiques voient également leur consommation augmenter, via la Lituanie. "Nous craignons que la méthamphétamine ne remplace l'amphétamine dans le nord de l'Europe, où elle est très consommée", affirme Hamid Ghodse, directeur de l'OICS.

Comment sait-on cela ? Par les chiffres de saisies et d'arrestations, parcellaires, dépendant de la bonne volonté des services anti-drogues nationaux. Un meilleur moyen consiste à chasser les importations... de remède anti-rhume. L'éphédrine et la pseudoéphédrine, deux produits chimiques présents dans des médicaments de consommation courante comme l'Actifed ou le Nurofen Rhume, font partie des ingrédients nécessaires à la production de "meth". Des millions de tonnes de ces "précurseurs" circulent chaque année à travers le monde. Il est facile d'en détourner quelques centaines. L'OICS s'efforce de recenser et signaler les plus insolites parmi ces transactions. Comme ces deux immenses commandes passées en Jordanie et en Irak l'an dernier, des pays où personne ne s'était jamais avisé de produire de l'anti-rhume.

Pour éviter d'attirer l'attention, les trafiquants ont donc modifié leur recette. En 2009, les saisies d'éphédrine et de pseudoéphédrine ont largement diminué à travers le monde. Elles étaient remplacées par un autre produit, le BMK, moins rentable, plus explosif mais plus discret. Depuis, les trafiquants ne cessent de se reporter vers des substances toujours plus éloignées du résultat final, à partir desquelles ils reconstitueront, étape par étape, en laboratoire, les ingrédients nécessaires à leur cuisine.


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Cette page a été mise en ligne le 31/03/2012