Brève

La ligne Maginot de la lutte antidopage


09/06/2014 - cyclisme-dopage.com - Marc Kluszczynski

Le CNOSF (Comité National Olympique et Sportif Français) met régulièrement en ligne ses "tables rondes" où sont invités des spécialistes de la lutte antidopage. Deux conférences sur la perception du public sur le dopage (2010) et la perception du dopage par la population (2012) confirment le pessimisme que l'on peut ressentir sur l'efficacité de cette lutte. Eric Maitrot, journaliste à la Voix du Nord, auteur du livre Les scandales du sport contaminé (2003) et Patrick Mignon, sociologue à l'INSEP (Institut National du Sport, de l'Expertise et de la Performance) y participaient.

La lutte antidopage s'appuie sur des principes initiés par Pierre de Coubertin et qui n'existent plus de nos jours. La majorité des personnes décidant de commencer un sport le font pour des motifs personnels (avoir une meilleure santé, un bon moral, rencontrer d'autres personnes) et ne font pas appel aux valeurs sportives (respect de l'adversaire, honnêteté, éthique...). La lutte antidopage est donc victime d'un écart entre l'héritage d'une morale sportive centenaire et dépassée, et la réalité sportive actuelle. Existe-t-il encore un pays où la construction de la société s'appuie encore sur le sport ? Comme le sport professionnel est devenu un spectacle avec ses grands rendez-vous, le sportif est lui devenu un membre du show-business dans un sport instrumentalisé. D'après Eric Maitrot, on assiste depuis l'affaire Festina (1998) à la dédiabolisation rampante du dopage dans l'opinion publique. Pour le public français, le sportif est plus une victime qu'un tricheur. Pourquoi n'aurait-il pas droit au dopage alors que dans notre société surmédicalisée de performance, artistes, cadres, ouvriers, personnes publiques y ont recours ? L'opinion publique ressent une injustice sociale dans le fait de vouloir condamner le sportif dopé alors que les stars du cinéma, de la chanson et de la politique ne subissent pas de contrôle antidopage. Pour elle, le dopage fait partie intégrante du sport aujourd'hui. On a observé en 2012 une augmentation du pourcentage de la population qui pense que la lutte contre le dopage est inutile car perdue d'avance, et une diminution du pourcentage qui pense que cette lutte est nécessaire car elle protège la santé des sportifs. Ce glissement de l'opinion publique remet en cause la légitimité et l'efficacité de la lutte antidopage, déjà peu transparente, complexe et injuste. Le déphasage grandissant de la lutte antidopage avec l'opinion publique est en plus inhérent à l'idée qu'on peut se faire du sport : il n'est pas une nécessité, et l'opinion publique ne prend pas le sujet du dopage au sérieux. Pour Patrick Mignon, le sport étant davantage considéré dans notre société comme un hochet que comme un véritable objet d'investissement, il ne faut pas s'attendre à ce que la société accorde à la lutte antidopage tout le sérieux qu'elle mérite. Le peu d'intérêt pour la lutte antidopage est un des symptômes de l'évolution du sport, elle-même symptôme des évolutions sociales. Plusieurs exemples récents en cyclisme ou en athlétisme nous montrent que la détermination des responsables politiques et sportifs est en train de se lézarder. Pour Eric Maitrot, il y a un décalage entre les discours et programmes de prévention (quand ils existent) et l'absence de répression efficace, comportement classique d'un " monde de posture " : on prend position mais on n'agit pas. Le public, les athlètes, les dopeurs sont conscients de cette situation et en profitent. Vouloir éradiquer le dopage, comme le souhaite Brian Cookson en cyclisme, est donc impossible car il est lié au statut du sport dans la société. Toutes les grandes affaires de dopage (Ben Johnson 1988, Festina 1998...) ne sont à considérer que comme les soubresauts médiatiques d'une lutte que l'on ne veut pas rendre incontournable et légitime. Seule l'USADA a mené une lutte frontale, courageuse et agressive contre Lance Armstrong qui a été privé de ses 7 victoires au Tour de France.


Marc Kluszczynski est pharmacien
Il est titulaire du diplôme universitaire de dopage de l'université de Montpellier (2006)
Il est responsable de la rubrique "Front du dopage" du magazine Sport & Vie et collabore à cyclisme-dopage.com


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Cette page a été mise en ligne le 09/06/2014