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Dossier dopage |
La consommation de caféine, aucunement interdite dans le peloton du Tour de France, n’est pas nouvelle. Ni dans le vélo, dans d’autres sports. Mais depuis quelques années, elle décolle. À tel point que cela inquiète certains acteurs du cyclisme
La caf’, comme on la surnomme, est monnaie-courante depuis des années dans le peloton professionnel, sur le Tour de France, comme dans énormément de sports. Ses vertus stimulantes, notamment sur le système nerveux central, sont recherchées. Elle augmenterait l’attention, la concentration. Elle booste la sécrétion d’adrénaline, augmenterait la force de concentration des muscles, réduirait la douleur et la fatigue. C’est l’un des « petits trucs » qu’utilisent beaucoup d’athlètes.
Cette substance est devenue entièrement légale depuis 2004. Avant, l’Agence mondiale antidopage (AMA) l’avait interdite à partir d’un certain seuil. Depuis plus aucune limite n’a été fixée. Et c’est cela qui pose problème, ces dernières années. Plusieurs acteurs du cyclisme s’inquiètent de voir son usage devenu incontrôlé. Pas tellement pour ses effets dopants, mais davantage pour la santé des coureurs.
« Cela fait trois ans que je tire la sonnette d’alarme, lâche Pascal Chanteur, président du Syndicat des coureurs professionnels. La caféine, on pourrait croire que c’est anodin car tout le monde en prend, mais pris en forte quantité, c’est inquiétant. Aujourd’hui, c’est rentré dans les mœurs, et le sportif a l’impression d’avoir besoin de ça pour tout. Performer, récupérer, ne pas cogiter »
« Dès les juniors l’usage est répandu »
Les coureurs peuvent prendre de la caf’ en buvant des expressos, bien sûr, mais aussi en chewing-gum, en gélule, ?dans des boissons dédiées, mais désormais dans des gels alimentaires « C’est surtout ça qui a changé, note un directeur sportif d’équipe présent sur le Tour. On a toujours vu de la caféine dans le peloton, mais maintenant, on en trouve dans la moindre barre énergétique. Du coup, les coureurs en prennent beaucoup ! »
Un médecin d’équipe pro partage ce constat : « On constate, oui, une inflation des doses de caféine ces dernières années dans le peloton. » Un coureur expérimenté confirme : « La caféine est assez répandue dans le peloton, et je le regrette ! On voit des gels énergétiques à la caféine, et j’ai appris que dès les juniors désormais leur usage est répandu, c’est problématique. Après, beaucoup utilisent de la caféine en gélules, ou prennent même des médicaments qui en contiennent comme le Claradol, qui associe paracétamol et caféine. Et là le geste me semble beaucoup plus discutable ! C’est autorisé mais éthiquement parlant »
Le vrai danger : le dosage
Un autre cycliste de ce Tour lâche : « Chez les jeunes, les amateurs, ça a toujours existé. Ça fait partie des trucs à essayer. Tu essaies, et puis tu vois si tu aimes bien. Sauf que pour certains, après, ça devient un engrenage. La fois d’après, tu cours sous caféine, et puis après encore, etc., et ça devient une habitude. Tu es à la rue ? Allez, tu vas tenter un peu de caf’ Il n’y a rien d’illégal donc personne n’est gêné. » D’autant que l’effet placebo (psychologique) a également été démontré dans diverses études. (...)
Le vrai danger demeure le dosage. Ce médecin d’équipe détaille : « La caféine en soi n’est pas dangereuse, mais ses excès oui. À partir d’un certain seuil, au-delà de 400 mg par jour, cela peut entraîner de la tachycardie, des tremblements, et c’est aussi diurétique donc on peut aussi souffrir de déshydratation encore plus facilement. Avec la chaleur ça peut être terrible Ce qu’on dit, c’est de ne pas dépasser 5 mg par kilo par jour. »
Un coureur pro français pense que certains peuvent aller jusqu’à un gramme par jour de caféine (l’équivalent de 15 expressos). « Et cela peut expliquer peut-être certaines chutes. Ils en prennent avant la course, pendant » D’autres évoquent des chiffres encore au-delà C’est une substance addictive, de surcroît. Quand on en prend, il est difficile de s’arrêter. « Mais quand la carrière s’arrête, que certains veulent arrêter ou réduire le rythme, ça n’est pas si simple », alerte Pascal Chanteur.
L’autre effet pervers arrive le soir, quand il faut s’endormir. Là aussi, ce n’est pas nouveau mais « certains doivent prendre des somnifères, ce qui enclenche un cercle vicieux »
À entendre ce médecin présent sur la Grande Boucle, leur rôle est donc primordial pour réguler leur consommation. « À nous de bien prévenir les coureurs. Même si l’assimilation de la caféine est très différente selon les individus, que chaque individu la supporte à sa manière, il ne faut clairement pas dépasser un seuil. »
« On passe à côté de cette substance »
L’avis du Dr Xavier Bigard, directeur médical de l’Union cycliste internationale.
« La caféine est une substance pour laquelle on sait qu’il y a des risques pour la santé, qu’elle améliore les performances, et qu’elle est consommée en masse Je dis souvent qu’on se focalise sur d’autres substances qui n’ont pas forcément de grand intérêt, mais on passe à côté de cette substance, courante, à laquelle plus personne ne pense, mais qui améliore tout autant les performances Il peut y avoir une dépendance forte à la caféine. Les gels, aujourd’hui, comportent pour beaucoup de caféine. Moi, l’inquiétude c’est surtout celle-là. Les effets peuvent être : trouble du rythme cardiaque, de la pression artérielle, trouble du sommeil. Et il ne faut pas négliger tout ça. Cela ne m’inquiète pas, non, mais je ne suis pas dans le bus des équipes La solution est vraiment d’alerter, de prévenir. Il y a une vraie fonction d’éducation, aussi, des médecins d’équipe. Il faut qu’ils puissent le dire, et être écoutés. Si un coureur de 70 kg ne dépasse pas 560 mg par jour (5 expressos), il n’y a pas de risque Il y a aussi un effet placebo dans la caféine. (...) Cette substance mérite toutefois qu’on y prête attention. Elle a été sortie en 2004 mais effectivement, elle améliore la performance en endurance, et en force-puissance. Elle agit sur le système nerveux central, elle excite. Pour moi, cela ne me pose pas de vrai problème éthique. Un gel de glucose améliore aussi les performances, après tout. Ce qui me pose problème, en revanche, ce sont les substances pharmaceutiques avec des effets associés. Pourquoi a-t-elle disparu des radars ? Parce qu’il y a une très grande variété, une différence, dans l’élimination de la caféine entre les personnes. C’est très individuel. Un sportif peut très bien mal éliminer un café, alors qu’une autre ne ressentira rien après quatre cafés. Comment faire un seuil commun ? C’est impossible d’interdire la caféine. »
Cette page a été mise en ligne le 04/12/2022