Dossier dopage

Brain doping : prise de tête


21/07/2016 - liberation.fr - Pierre Carrey

Le Team Sky a été le premier à évoquer cette méthode agissant sur le cerveau, pas encore assimilée à un produit dopant. (...)

Le «brain doping», une nouvelle technique d'amélioration artificielle des performances, devrait bientôt débarquer dans le cyclisme et d'autres sports. A moins qu'elle ne soit déjà en voie d'expérimentation ou d'application puisqu'on en parle déjà ouvertement dans le peloton. Le procédé, «non invasif», consiste à stimuler le cerveau grâce à des électrodes placées sur le crâne et qui délivrent un très faible courant électrique, de 1 à 2 milliampères. La «transcranial current stimulation» (TCS), de son nom scientifique, pourrait améliorer la capacité d'un athlète à se dépasser, selon de récentes études. (...)

David Brailsford, employeur de Christopher Froome, (...) a semé le trouble il y a plus d'un an. Il est le premier acteur du monde du cyclisme à avoir déclaré publiquement son intérêt pour la TCS, le 6 mars 2015, dans une interview au Guardian. Car cette technique «améliore la plasticité du cortex pour favoriser l'apprentissage rapide», déclare-t-il. Ce qui en théorie pourrait permettre à un coureur cycliste de mieux descendre dans les cols ou de mieux contrôler son alimentation. Mais la TCS a également un impact direct sur la performance physique, toujours selon le manager d'équipe : «Quand le cerveau en arrive au stade où il se dit "il vaut mieux lâcher l'affaire et arrêter" [de pratiquer une activité d'endurance, ndlr], la stimulation crânienne surmonte cette réaction et vous permet de vous battre au plus près des capacités de votre corps, ce qui est intéressant.»

(...)

David Brailsford, qui avait découvert la technologie en février 2015 lors d'une visite dans plusieurs entreprises high-tech à San Francisco, a lui-même essayé ce principe avec des électrodes pendant une partie de fléchettes. En mars 2016, le magazine Nature confirmait que le brain doping (le terme ne possède pas encore de traduction officielle en français) pouvait favoriser la performance sportive. La revue scientifique citait une récente étude du laboratoire Halo de San Francisco sur des sauteurs à ski, où les athlètes «stimulés» avaient amélioré leur détente de 70 % et leur coordination motrice de 80 %, par rapport aux athlètes privés de cette technique. D'autres études menées au Royaume-Uni et au Brésil ont démontré que la stimulation transcranienne pouvait réduire «la perception de la fatigue» chez les cyclistes.

La TCS est apparue au milieu des années 60, initialement destinée à remplacer les psychotropes. Ces dernières années, des études cliniques ont démontré que cette méthode pouvait donner des résultats encourageants, notamment dans le traitement des accidents vasculaires-cérébraux, de la douleur, des troubles de la mémoire, de la dépression et des addictions diverses. Ce procédé en est encore au stade de la recherche et, comme le rappelle le professeur Emmanuel Haffen, «ne bénéficie pas d'autorisation pour être appliqué dans le champ de la santé». Toutefois, le directeur de l'équipe de chercheurs en neurosciences à l'université de Bourgogne Franche-Comté estime que «des sportifs pourraient facilement se procurer» un appareil. Le coût varie entre 5 000 et 12 000 euros et le protocole d'utilisation pourrait s'acquérir tout aussi simplement, en quelques heures.

(...)

Est-ce à dire que le Team Sky ou d'autres sont déjà passés au brain doping ? L'an dernier, David Brailsford, féru de méthodes innovantes (les «gains marginaux», dans son vocabulaire), avait fortement laissé entendre qu'il allait conduire ses propres tests. «Ce n'est pas quelque chose qu'on va voir dans les classiques l'année prochaine (...), mais quelque chose à expérimenter», précisait le manager au Guardian. Contactée jeudi par Libération, l'équipe britannique affirme qu'elle n'a toujours «pas utilisé» cette méthode. Sans préciser si elle comptait le faire prochainement. Plusieurs entraîneurs d'équipes concurrentes nous ont indiqué que la technique «n'était peut-être pas encore utilisée dans le Tour de France» mais qu'elle le serait «très prochainement» au vu de l'avancée de la science et des conclusions encourageantes des études. Une source s'interroge cependant sur le fait que la formation de Christopher Froome ait délibérément choisi d'attirer l'attention sur cette nouvelle technique : «Il s'agit peut-être de marketing, comme souvent avec Sky.» Un autre entraîneur s'alarme de «l'efficacité» de la TCS, qui «pourrait fausser la compétition». Les taux de progression avancés par l'étude sur les sauteurs à ski aux Etats-Unis font en effet penser aux conséquences d'un dopant classique.

La stimulation transcranienne n'est pourtant pas encore considérée comme une arme de la fraude sportive. Pour qu'un procédé ou un produit rejoigne la liste des interdits de l'Agence mondiale antidopage, il doit remplir au moins deux des trois critères suivants : il améliore de manière reproductive la performance, il est nocif pour la santé, il est contraire à l'éthique du sport. «Or, nous manquons d'informations pour considérer que cette méthode est dopante», déclare le professeur Xavier Bigard, conseiller technique de l'Agence française de lutte antidopage (AFLD), à Libération. L'AFLD précise qu'elle «suit avec intérêt» les études consacrées aux électrodes sans toutefois financer elle-même des travaux sur le sujet. Mais le détournement de la TCS en brain doping inquiète déjà certains chercheurs. «Nous ne connaissons pas les effets nocifs de la technique de stimulation non invasive à long terme sur un cerveau sain, souligne Emmanuel Haffen. L'utilisation de cette méthode pour permettre à un sportif d'aller au-delà de sa limite à l'effort peut aussi présenter des risques pour la santé. A un moment donné, le corps a besoin d'informations pour dire stop.»


Lire l'article en entier



Sur le même sujet


Cette page a été mise en ligne le 23/07/2016