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Dossier dopage |
La responsabilité de Verbruggen
Le britannique Brian Cookson, alors président de la Fédération anglaise de cyclisme, était élu en septembre dernier à la présidence de l'UCI. Il succède à Hein Verbruggen (1991-2005) et Pat Mc Quaid (2005-2013), qui ont marqué leurs mandats par la mondialisation du cyclisme, mais aussi par les scandales de dopage (affaire Festina, affaire Armstrong...) et peut-être aussi par la corruption. Lance Armstrong n'a vraiment pas envie de tomber seul : il cherche à impliquer Verbruggen et Tom Weisel, financier américain à l'origine de la création de l'US Postal en 2003. D'après Armstrong, c'est bien Verbruggen qui l'aidé sur le Tour de France 1999 à cacher son contrôle positif aux corticoïdes en lui conseillant de fournir une ordonnance fictive antidatée. Après l'affaire Festina, Verbruggen ne tenait pas à un scandale supplémentaire sur le Tour. Le but de Lance Armstrong est maintenant de " couler " Verbruggen et son grand ami, le Dr Michele Ferrari. Il ne tient pas à rembourser seul les 100 millions de dollars que pourrait lui demander l'Etat américain dans le jugement sur le détournement des sommes allouées par l'US Postal à des fins de dopage. Cookson a promis de faire toute la lumière sur ces années noires ; début 2014, la commission d'enquête indépendante (que Mc Quaid avait dissoute en 2013) reprendra du service. Cookson est bien décidé à élucider ce qui apparaît comme une succession de " négligences " ayant abouti à la quasi généralisation de l'usage d'EPO dans les années 90 -2000. Le nouveau président intègre parle même d'auditionner Verbruggen et Mc Quaid, dans l'espoir qu'ils videront enfin leurs sacs... Des cyclistes retraités parlent d'intimidation de la part de Verbruggen. Peter Stevenhaagen (PDM) et Giorgio Squinzi (directeur de la Mapei) voulant alerter sur l'usage de l'EPO en 1998 s'étaient vu menacer par Verbruggen qui aurait rétorqué à l'un : " Je décide qui est positif " et, à l'autre, aurait fait planer une menace de disqualification de l'équipe entière.
Le zèle de Cookson
Devant un cyclisme en ruine, et dont la crédibilité est réduite à zéro, Cookson ne serait-il pas tenté d'en faire un peu trop ? Il reconnaît que le passeport sanguin, instauré en 2008, a été une avancée. Sous l'ère Mc Quaid, le passeport laisse une grosse question en suspens : que signifient les variations inverses du taux d'hémoglobine et des réticulocytes de Chris Horner à la Vuelta 2013 ? Cela n'a pas eu l'air de troubler Mc Quaid et aucune procédure n'avait été ouverte contre le vétéran américain de 42 ans, qui a retrouvé in extremis un contrat chez Lampre en 2014. Mais Cookson voudrait-il rattraper le temps perdu ? Il décide en décembre de lancer une procédure pour anomalie du passeport à l'encontre du cycliste britannique de la Sky, Jonathan Tiernan Locke. L'affaire fait grand bruit (Le Monde n'a-t-il pas titré " un coureur de la Sky épinglé " ?) car la réussite de l'équipe anglaise sur le Tour de France agace, alors qu'elle n'a pas gagné une course d'un jour en 2013 ! L'anomalie constatée date de 2012 alors que Tiernan Locke roulait pour l'équipe continentale Endura Racing, qui n'était pas incluse dans le programme du passeport car n'appartenant pas au Pro Tour. Le seul test sanguin subi par l'espoir anglais en 2012 fut celui que lui proposa Jonathan Vaughters (Garmin Sharp) qui pensait l'engager en 2013.Vaughters affirme que le test ne présentait pas d'anomalie. Il y a donc un mystère sur le test dont parle l'UCI. Tiernan Locke gagnait en 2012 le Tour méditerranéen, le Tour du Haut-Var, puis le Tour de Grande-Bretagne. Il incorpora la Sky en 2013, mais ne supporta pas les charges d'entraînement imposées, et ne fit pas de grands résultats. Ces charges énormes (propres à Sky) ont du modifier les paramètres sanguins.
Brian Smith, l'entraîneur du jeune anglais, ne croit pas à un dopage du coureur. L'anomalie constatée pourrait être due à une variabilité dans la mesure entre deux laboratoires différents. Les analyses effectuées dans le cadre du passeport sanguin ne peuvent être réalisées que par six laboratoires agréés dans le monde. Le mode de prélèvement répond à un cahier des charges bien précis : temps de pose du garrot, position du sujet pendant le prélèvement... Un questionnaire doit être rempli avant le prélèvement pour s'assurer de la fiabilité du résultat (le cycliste a-t-il séjourné en altitude ou réalisé un effort important auparavant ?). L'analyse de 2012 (si elle existe) pourrait donc présenter des différences de valeurs avec les prélèvements 2013 réalisés chez Sky, seuls valables pour le passeport. Et Cookson compare des valeurs qui ne sont pas comparables ! Tiernan Locke est bien décidé à se défendre devant la justice. Nous espérons que Brian Cookson apprendra que le passeport n'est pas une arme antidopage infaillible.
Marc Kluszczynski est pharmacien
Il est titulaire du diplôme universitaire de dopage de l'université de Montpellier (2006)
Il est responsable de la rubrique "Front du dopage" du magazine Sport & Vie et collabore à cyclisme-dopage.com
Cette page a été mise en ligne le 27/02/2014