Brève

Pierre Ballester : "Le dopage fait gagner, c'est d'ailleurs son essence."

05/06/2008 - cyclisme-dopage.com

Dans son livre "Tempêtes sur le Tour", Pierre Ballester publie les "vrais chiffres du dopage", tels que publiés sur cyclisme-dopage.com. Le co-auteur de LA Confidentiel, qui en sont temps dévoila Lance Armstrong sous un autre jour, dresse un état des lieux sombre du cyclisme. Cependant, il ouvre aussi des pistes et révèle la physionomie qu'il pourrait prendre dans les prochains mois avec, en arrière plan, la guerre UCI/ASO. Pierre Ballester a répondu à nos questions.



On a présenté l'affaire Festina comme une occasion de remettre tout à plat, de relancer le cyclisme sur des bases saines. Dix ans après, vous dressez un constat qui sonne comme un faire-part de décès du cyclisme. Le « Tour du renouveau » ne viendra donc jamais ?

Si. Dans la bouche des décideurs, des sponsors, des organisateurs, des animateurs, des réanimateurs d'une nostalgie sépulcrale, des crédules. Ne vous inquiétez pas : dès qu'il se passera une semaine sans heurts, on nous fera replonger dans un enthousiasme en toc. Mais on ne peut pas être radical et définitif pour autant : dans un désert, une forme de vie trouve toujours son chemin... Alors, le cyclisme « vrai » peut ressurgir un jour. Cela étant, au vu de l'évolution du sport dans son ensemble, je reste très sceptique. Dix ans après l'affaire Festina, c'était le moment de revenir sur ce qui a été fait. Et pas fait. Et ce n'est guère réjouissant.

Les « vrais chiffres du dopage » que nous publions et que vous analysez dans votre livre montrent que le dopage était généralisé bien avant l'arrivée de l'EPO. C'est une surprise pour vous ?

Un peu, je le reconnais. Je pensais naïvement (eh oui) que sa généralisation était plus récente. Disons, depuis le début des années 1990. A mes yeux, il faut toutefois distinguer le dopage pour atténuer la souffrance (les amphétamines des années 50 à 80) au dopage de la performance qui, lui, fausse totalement la notion de compétition et ses prolongements : l'authenticité du champion, les dividendes et la reconnaissance qu'il en tire, l'émotion qui en résulte... En outre, quand on interroge les gens du milieu sur l'énormité des chiffres que vous évoquez, aucun ne paraît vraiment surpris.

Pendant longtemps, on a entendu que le dopage ne marchait pas, qu'on ne faisait pas d'un âne un pur sang. Pourtant, plus on monte haut dans le classement, plus on trouve de coureurs dopés...

Je n'ai jamais été de ceux qui pensent (ou clament) que le dopage ne marche pas ou qu'il n'est qu'un accessoire. Sinon, pourquoi serait-il si envahissant et caractéristique des plus hautes performances ? Je trouve même plutôt logique de retrouver une proportion plus forte de dopage au fur et à mesure qu'on grimpe vers le haut de l'échelle puisque la préparation à la performance s'ingénie à explorer des chemins inconnus. Le dopage fait gagner, c'est d'ailleurs son essence.

Beaucoup a été fait dans la lutte contre le dopage depuis dix ans. Si l'on en croit Greg Lemond qui lance des idées très intéressantes, on est pourtant encore très loin du compte...

Parce que trop d'affaires ont été étouffées ; parce que trop d'intérêt sont en jeu ; parce que le dopage rapporte plus que le non dopage dans la course à la « championnite » ; parce que la chair est faible et l'euro fort ; parce que le vice est humain ; parce que le jeu est dépassé par l'enjeu. Parce que le sport de haut niveau tel qu'on le connaît aujourd'hui n'a plus grand chose à voir avec celui pratiqué vingt ans en arrière. Parce que le pli est pris et qu'il faut prôner une ligne de conduite qui irait à l'inverse du cours des choses et des mentalités. Et ça, c'est loin d'être accepté.

Votre bilan est très sombre. Le combat pour un cyclisme sans dopage est-il un combat d'arrière garde ?

J'en ai bien peur. Ou alors d'avant-garde si on estime qu'un retour des choses est possible. Rien n'indique (c'est une litote) que le dopage est en régression. Et la réponse scientifique de la préparation comme alternative est encore trop embryonnaire. C'est dans la nature humaine que de chercher et exploiter des pratiques nouvelles, dont la sophistication du dopage fait partie quand on parle de performances ou records. Il existe bien une prise de conscience - les politiques s'y mêlent enfin avec notamment la 1ere rencontre parlementaire sur la question du dopage le 11 juin prochain à Paris - mais l'affairisme motive sa sophistication. Souvenez-vous qu'à chaque étape de détection d'un produit alors indécelable, il s'en est trouvé d'autres pour le remplacer. Et, à ma connaissance, l'hormone de croissance, l'autotransfusion autologue (réinjection de son propre sang) sont toujours indécelables. Sans parler des prochaines générations d'EPO. Ce serait bien naïf de penser que la course à l'armement va s'arrêter quand on est aux portes du génie génétique.

Si on vous lit entre les lignes, Pat Mc Quaid lui-même se serait dopé. On lit bien ?

On peut le comprendre ainsi en effet. Interrogé sur la question du dopage dans les années 1970, Pat McQuaid, qui fut coureur professionnel, s'associe aux justifications de l'époque pour expliquer le recours au dopage lors des critériums. Au moins peut-on lui accorder le crédit de ne pas se réfugier dans un sempiternel déni en dressant son constat.

Et si la légalisation du dopage était la seule façon de lever l'hypocrisie ?

Et pourquoi pas une vitesse limitée à 200 km/h sur une Nationale ? Ce serait totalement irresponsable. Non seulement en terme de « vérité » sportive, aux croyances et aux mythes qu'elle entretient pour la légende d'un sport, mais, surtout, en terme sanitaire. Laisser les athlètes aux mains de préparateurs sans scrupule, plus motivés par le profit que par l'essence du sport, c'est placer le sport dans la chaise de l'expérimentation, du cobaye, de l'affairisme sans limite. Ce serait à la fois inconscient et mortifère.

ASO vient d'annoncer que le Tour de France serait organisé sous l'égide de la FFC et non de l'UCI. C'est la première salve d'une guerre que vous annoncez comme inéluctable ?

La première ? Plutôt l'une des toutes dernières. Comme il l'est dévoilé et argumenté dans le livre, ASO a pris depuis quelques mois la décision de ne plus organiser sous l'égide de l'UCI. Le divorce est consommé. A preuve, l'annonce rendue publique mardi de placer le Tour sous l'autorité de la Fédération française de cyclisme et les contrôles sous celle de l'agence française AFLD. Sans jouer la Madame Irma, la suite des événements est dans le livre...

Dans la lutte ASO contre UCI telle que vous la décrivez, c'est ASO, société privée, qui semble la plus en pointe pour préserver ce qui reste d'éthique dans le cyclisme. Etonnant non ?

Ce que je retiens, c'est la faillite des institutions sportives en la matière ; la défiance que l'UCI inspire en l'occurrence. Le discrédit est consommé au point que l'organisateur de la plus grande épreuve cycliste de la planète a décidé de désavouer l'UCI de son statut d'autorité morale. C'est presque un comble de constater qu'une fédération internationale est désavouée par un organisme privé. Placer la crédibilité du sport - du cyclisme ici - entre les mains d'une société privée laisse en effet sceptique. Même Patrice Clerc (le patron d'ASO) n'est pas à l'aise devant cette responsabilité. Mais pour retrouver le chaînon manquant de la popularité du Tour (la crédibilité des exploits et de leurs champions), ASO devait passer par là. Faute de grives...

Patrice Clerc, le patron d'ASO ne sort pas du sérail cycliste. Est-ce que ça lui donne plus de légitimité pour lutter contre le dopage ?

Oui, au vu du passé. Oui, au vu de l'impossibilité " affective " des héritiers à s'opposer à un milieu qui les a nourris. Oui, au vu des quelques garanties posées ici ou là depuis quelques années (coureurs et équipes jugées indésirables au départ) , Patrice Clerc ayant été le seul à prendre le taureau par les cornes et non plus par les sentiments. Oui... mais. La défiance d'un passé ne justifie pas forcément la confiance du fait nouveau. N'oublions pas qu'il représente une logique d'entreprise dont les objectifs de résultats répondent à des critères financiers. Qui plus est, Patrice Clerc n'est pas seul dans la pétaudière. Un organisateur ne peut pas gérer son sport, juste sa course. Et encore : Ca ne le prive pas de quelques désagréments comme ceux connus en 2006 (Landis) et 2007 (Rasmussen, Vinokourov, Mayo, Sinkewitz, Moreni...). L'édition 2008 est sans doute importante pour constater s'il y a du mieux mais le cumul des désillusions et une situation devenue incontrôlable sont des boulets que Patrice Clerc aura du mal à faire oublier.

Lance Armstrong a retiré toutes ses plaintes suite à LA Confidentiel. Soulagement ou regret ?

Franchement ? Un regret. Tout aurait pu être étalé sur la place publique lors de ce procès qui était prévu en octobre 2006. Mais trois mois avant, arguant d'un rapport bidon commandité par l'UCI et missionné par le Néerlandais Vrijman (ami de Hein Verbruggen) qui le blanchissait, Lance Armstrong a préféré cette sortie plutôt que d'affronter ses contradicteurs. Stratégiquement, c'est toutefois bien jugé. Il aurait été bien en peine de faire face aux témoins et aux faits qui le confondent.

Le Tour de France, une étude que vous révélez le montre, rassemble de moins en moins de monde au bord des routes et devant la télévision. En serez-vous cette année ?

J'en serai, j'en serai... Comme pas mal de gens : je jetterai un oeil quand mes activités professionnelles me le permettront. Par curiosité épisodique. Parce qu'on ne se refait pas. Mais sans enthousiasme et avec une suspicion inévitable puisque l'exploit et le scandale sont confusément mêlés. Parce qu'on ne " les " refait pas. La notion sportive (au sens noble) n'est plus majeure dans ce feuilleton de juillet. Et avec elle l'émotion qui nous anime. Il n'y a plus que ce cordon ombilical nous renvoyant à notre propre enfance qui nous relie à ce vélo de haut niveau dévoyé.


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Cette page a été mise en ligne le 05/06/2008