Actualité du dopage



2 juin 1969 : l’affaire de Savone


25/04/2019 - Giro - Pierre Carrey

Comme souvent dans la benne a souvenirs, ce ne sont pas les cinq Giros triomphants de Merckx que l’on retient, mais celui qu’il a perdu. Et où il a été exclu de la course : l’affaire de Savone, qui éclate le 2 juin 1969. La veille, le champion belge, allocataire du maillot rose, a été contrôlé positif au fencamfamine, une molécule stimulante, qui pourrait provenir d’un médicament accessible en Belgique, le Stimul. « Il faudrait que je sois fou pour prendre de tels risques », se défend le coureur, qui a déjà fait l’objet de huit tests depuis le départ de l’épreuve le 16 mai, tous négatifs. Il appuie : « Je n’ai rien absorbé de semblable, pas volontairement en tout cas. » Il pratique une contre-expertise a ses frais, destinée a l’innocenter mais qui ne constitue pas une pièce légale.

Le peloton repart sans son leader. Allure modérée, d’hébétude et de protestation. Felice Gimondi souligne qu’une victoire dans ce Giro serait dénuée de « signification » mais c’est bien lui qui rafle la mise. Les relations diplomatiques se tendent entre Bruxelles, qui demande des explications et des excuses, et Rome. Le « Cannibale » sera finalement blanchi le 10 juin, sur insistance du président de l’UCI, l’Italien Adriano Rodoni, et du co-directeur du Tour de France, , qui souhaite avoir Merckx au départ. (...)

« L’affaire de Savone marque la fin d’une innocence. D’une époque », martèle Philippe Brunel, le journaliste de L’Équipe, dans ses écrits ultérieurs. Cette éviction fait double fonction de parabole – le roi déchu – et de moulin a complots. C’est l’un des plus vastes fantasmes de l’histoire du cyclisme. Merckx, qui sera positif à d’autres reprises dans sa carrière, était-il ce jour-là sciemment dopé au produit retrouvé dans son organisme ?

Si non, par qui a-t-il été piégé ? Cinquante ans plus tard, le coureur seulement nettoyé des soupçons dans les faits, mais pas dans les esprits, maintient sa théorie d’une conspiration. Plusieurs thèses sont avancées sur l’auteur, le mobile et le mode opératoire. Une erreur d’analyse imputable au camion médical ambulant (Torriani le met en service pour la première fois, emprunté aux organisateurs de la Course de la Paix) ? Un acte de malveillance interne à l’équipe Faema (le coureur lâchera sur le vif qu’il connaît le coupable et le traduira en justice, mais ne diffusera aucun nom) ? Un coureur ou membre d’une écurie adverse qui aurait contaminé ses aliments (il se montrera par la suite scrupuleux et paranoïaque avec tout ce qu’il mange ou boit) ? Un rival qui aurait remplacé son bidon « propre » par un contenu pharmaceutique, profitant que le coureur assiste à la messe avant le départ de l’étape ? Comme dans les histoires antérieures ou futures d’empoisonnement en plein Giro, la vérité ne sera jamais tranchée avec certitude et les imaginations continuent de frire.

Le mystère s’enrichit d’une coïncidence : plusieurs très grands noms ont été déclarés positifs au même produit que Merckx un an plus tôt, sur le Giro : Gimondi, Adorni, Motta, mais aussi Michele Dancelli, Raymond Delisle et Dino Zandegu. Les coureurs se dénoncent les uns les autres. Victor Van Schil est accusé par Franco Bitossi d’avoir triché à l’examen antidopage. Désiré Letort et Marino Basso épinglent quant à eux Vittorio Adorni et sa poire d’urine « vierge » : « Alors que Vittorio signait le procès-verbal de contrôle, le liquide qui s’écoulait encore humidifiait la manche longue de son survêtement. » Gimondi s’en était tiré avec un mois de suspension seulement, innocenté par une expérience de médecins qui avaient absorbé la substance en cause et démontré que les résultats urinaires n’étaient pas fiables. Un an plus tard, Merckx avait-il utilisé le même produit à la mode ? Ou bien avait-il été intoxiqué avec un produit qui servait par la même occasion à signer le crime ? En 1993, l’ancien monstre de victoires se laisse aller à une confidence publique, pour la première et dernière fois, dans un livre qui paraît en flamand et français, Merckx, homme et cannibale, et qui fera quelque bruit : « Il était fréquent quand l’un d’entre nous ne pouvait pas uriner qu’un autre le fasse à sa place. De Vlaeminck et moi on s’est dépanné souvent. » Serait-ce enfin la clé de l’énigme de Savone ?

Une visite à son hôtel viendrait accréditer la piste de la machination. Merckx raconte que quelques jours avant son contrôle, un coureur lui aurait proposé de céder le maillot rose a Gimondi, en échange d’une valise de billets... Il s’agit de l’Allemand Rudi Altig, équipier de l’Italien. Merckx affirme avoir refusé : « Je n’ai jamais vendu ou acheté une course. » (...) « En 1974, quand je n’avais que douze secondes d’avance sur Baronchelli, mon vieil ami Colnago s’était manifesté là aussi, admet Merckx. Mais, bon, j’ai toujours refusé, car l’argent n’est pas tout. Il en faut pour vivre, mais il ne faut pas vivre pour l’argent. » Et en 1971, la transaction portait sur un titre de champion du monde : le patron des Belges se voit promettre une manne sidérante, équivalente a quinze fois son salaire, s’il laisse gagner son compagnon d’échappée. L’acheteur est Gimondi.


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Cette page a été mise en ligne le 23/02/2020