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Actualité du dopage |
Plus connu sous le nom de PFC (Le Monde daté 26-27 juillet), le perfluorocarbone, substance redoutable qui produit les mêmes effets que l'EPO (érythropoïétine) mais n'est pas détectable par les contrôles sanguins, a fait son apparition dans le peloton professionnel. Une enquête du Monde établit que le malaise dont le coureur suisse de l'équipe de La Française des jeux, Mauro Gianetti, a été victime, le 8 mai, pendant le Tour de Romandie (Suisse), est bien dû à l'emploi d'un produit dont les effets réels sur la santé restent encore largement méconnus. L'accident du champion avait ému l'Union cycliste internationale (UCI), qui, le 15 mai, avait dépêché à Nice, où était organisé le prologue du Tour d'Italie 1998, le président de sa commission « route Elite » afin de prévenir les directeurs sportifs des équipes engagées des risques encourus par leurs athlètes.Vous pouvez partager un article en cliquant sur les icônes de partage en haut à droite de celui-ci.
« C'EST UN PRODUIT mortel ! » Claude Jacquat, président de la commission « route Elite » de l'Union cycliste internationale (UCI), pèse ses mots. Le ton de son propos est solennel. « Grave », selon un témoin. Réuni dans une salle du Palais des expositions de Nice, vendredi 15 mai, l'auditoire est attentif. Il est un peu plus de 11 heures. Le représentant de l'UCI s'est invité à la réunion des équipes qui s'élanceront le lendemain sur la promenade des Anglais, où se court le prologue du Tour d'Italie 1998. Avant de prendre la parole, il a demandé aux organisateurs de l'épreuve et aux techniciens de sortir. Lorsqu'il intervient, il ne reste qu'une quarantaine de personnes : les directeurs sportifs des dix-huit formations engagées et leurs adjoints.
Alerté, la veille, par ses supérieurs, Claude Jacquat s'est dépêché de rejoindre la cité azuréenne. « Le 14 mai, j'ai reçu un coup de téléphone de l'UCI, a-t-il raconté au Monde. Mon interlocuteur me demandait de me rendre au départ du Giro afin d'informer les directeurs sportifs de l'extrême dangerosité qu'il y avait à utiliser un certain produit. J'ai donc fait ma communication en précisant que ce produit pouvait être mortel et j'ai fait signer une lettre à l'ensemble des participants. Je n'ai fait que le facteur. » Un facteur dont le message sonne comme une alarme, doublée d'un avertissement.
Selon un participant, Claude Jacquat indique que « l'UCI connaît les équipes qui recourent à l'usage de ce produit ». Il identifie le produit en question. Il s'agit du PFC (perfluorocarbone), qui vient de faire récemment son apparition dans le peloton. Ce produit présente des effets similaires à ceux de l'EPO (érythropoïétine) avec un avantage non négligeable : il ne provoque aucune montée de l'hématocrite (volume de globules rouges sur le volume total de sang). Il est donc impossible d'en détecter la prise lors des contrôles sanguins.
Durant cette communication, qui dure moins d'une heure, Claude Jacquat ne nomme personne, ne désigne aucune équipe. Pourtant, l'auditoire comprend. Dans le milieu, les nouvelles vont vite. En se gardant d'entrer dans les détails, Claude Jacquat fait tout de même référence à de sérieux problèmes de santé dont ont été victimes deux coureurs, l'un d'entre eux ayant même failli perdre la vie. Tous ceux qui sont présents dans cette salle du Palais des expositions ont alors à l'esprit l'accident survenu, vendredi 8 mai, lors du Tour de Romandie (Suisse) : un coureur transporté d'urgence à l'hôpital de Martigny, transféré au Centre hospitalier universitaire de Lausanne.
Au moment où Claude Jacquat s'exprime devant les responsables d'équipes, le champion en question est toujours placé en soins intensifs. Il y restera douze jours, dont trois dans un coma artificiel destiné à faciliter le traitement. Officiellement, le Suisse Mauro Gianetti, une des vedettes de La Française des jeux, médaille d'argent des championnats du monde sur route 1996, souffre d'une gastro-entérite compliquée d'un choc toxi-infectieux. Victime d'une impressionnante défaillance, en pleine ascension du col des Planches, il a mis pied à terre à 13 h 30, a grimpé dans la voiture-balai dans un état d'épuisement avancé et a abandonné. Conduit vers l'hôpital de Martigny, il en sera évacué dans la nuit du 8 au 9 mai pour le CHU de Lausanne, où il est accepté en urgence. « A son arrivée à l'hôpital, il était dans un tel état que les médecins chargés de l'accueillir ont alerté les services juridiques de l'hôpital, afin que ceux-ci prennent les dispositions avec la justice de Lausanne, en cas de décès, a expliqué un témoin au Monde. Ils craignaient que Mauro Gianetti ne s'en sorte pas. Tous les pontes du CHU se sont penchés sur ce cas. » Deux semaines plus tard, Mauro Gianetti sort de l'hôpital après avoir vécu ce qu'il qualifie lui-même de « véritable calvaire ». « GRAVE INSUFFISANCE RÉNALE »
Le 22 mai, il se confie à l'agence Sport Information. Contrairement à ce qui avait été indiqué quant à son état de santé, il ne parle pas de gastro-entérite, mais d'une infection des voies respiratoires qui aurait été provoquée par une allergie. Pour le coureur, pour sa formation, pour l'UCI, il n'y a plus rien à dire. Mauro Gianetti, un athlète de trente-quatre ans vient de passer deux semaines entre la vie et la mort, mais hormis la fatalité, il convient de ne rien ajouter. Le Suisse a réenfourché sa bicyclette et malgré le message clair transmis par l'UCI le 15 mai, à Nice, la loi du silence s'abat une fois de plus sur le peloton.
L'affaire aurait pu en rester là si, en plein Tour de France, un médecin suisse, le docteur Gérald Grémion, chef du service de médecine sportive à l'hôpital orthopédique de Lausanne, ne s'en était ému. Dans un journal du canton de Vaud, le praticien, par ailleurs ancien médecin de l'équipe professionnelle de cyclisme suisse Post Swiss Team, déclare que Mauro Gianetti avait fait une réaction au PFC. « Il en avait trop pris, affirme le praticien. En réalité, il a été victime d'un état de choc et était atteint d'une grave insuffisance rénale et hépatique. » Interrogé le lendemain, 15 juillet, par le quotidien France-Soir, il réitère.
Le docteur Grémion n'a pas soigné Mauro Gianetti. Il a simplement été informé de son état de santé à la suite d'une « indiscrétion ». Il n'est donc pas lié par le secret médical. Fin juillet, il décide de porter plainte contre X... pour mise en danger de la vie d'autrui, auprès du procureur du canton de Vaud. Instruite à Lausanne par le juge Cruchet, l'affaire est aujourd'hui entre les mains de la justice helvétique. « De toute façon, la vérité est facile à établir : il suffit de consulter le dossier médical de Mauro », explique Gérald Grémion. Mais le document est actuellement sous scellé dans le cabinet du juge. Pour que le secret soit brisé, le conseil de santé du canton doit donner son feu vert. Il peut le faire sur la demande de Mauro Gianetti ou pour les besoins de l'enquête au cas où le docteur Grémion aurait à se défendre afin d'étayer ses accusations.
Cette page a été mise en ligne le 12/08/2008