Dossier dopage

Dopage : l’intrigant virage stratégique de l’Union cycliste internationale


08/11/2019 - lemonde.fr - Clément Guillou

L’UCI devrait fermer dans un an sa fondation antidopage. Pour une meilleure efficacité, en s’appuyant sur la nouvelle autorité de contrôle internationale (ITA), assure son président. D’autres avancent des raisons moins avouables.

Pionnier dans l’externalisation de sa lutte contre le dopage, le cyclisme va-t-il rentrer dans le rang ? L’annonce, le mois dernier, par l’Union cycliste internationale (UCI), qu’elle allait « étudier l’opportunité d’une collaboration future » avec la jeune International Testing Agency (ITA, autorité de contrôle internationale dans sa traduction française), n’a pas manqué d’étonner.

Créée en 2008, la fondation antidopage pour le cyclisme (CADF), dont l’indépendance a été renforcée cinq ans plus tard, a construit depuis l’un des programmes de contrôle les plus sérieux du mouvement sportif – même si son efficacité est difficile à évaluer.

Elu en 2017 à la présidence de l’UCI, le Français David Lappartient s’était engagé à renforcer son indépendance et à lui confier la gestion des sanctions – un élément crucial qui suit la découverte d’un cas positif. Deux ans plus tard, il semble acter le démantèlement de cette structure à compter de 2021.

« Nous en sommes au début du processus et nous devons en évaluer tous les aspects, temporise David Lappartient. Je continue de dire que la CADF fait du bon travail. Mais il faut se remettre en question : la plupart des réseaux de dopage qui tombent sont omnisports. Est-il cohérent de s’occuper uniquement du vélo ? Echanger au sein de l’ITA, au sein d’un pôle d’investigation plus étoffé, pourrait être efficace pour tous. »

David Lappartient évoque des « lignes rouges » dans un futur accord avec l’ITA, telle que la garantie que « chaque employé de la CADF s’y voie proposer un poste » – sa directrice Francesca Rossi rejoindra dès le 1er janvier 2020 l’Agence française de lutte contre le dopage – ou que « notre argent [environ 7 millions d’euros par an] continue de servir la lutte antidopage dans le vélo ».

« Il a réclamé plus de contrôle dans nos activités »

L’annonce de l’UCI n’a pas surpris au sein de la CADF, où les tensions avec le voisin – ses bureaux jouxtent ceux de la Fédération internationale – allaient croissant ces derniers mois.

« Depuis que David Lappartient est arrivé à la présidence, il a réclamé plus de contrôle dans nos activités, déplore le Norvégien Rune Andersen, président du directoire de la CADF. Il m’a plusieurs fois réclamé le pouvoir sur telle ou telle chose, et j’ai toujours dit non. Je pense que cela l’a surpris, et il en était mécontent. Depuis, cette petite musique de l’ITA s’est fait entendre de plus en plus fort, comme une menace voilée. »

Selon Rune Andersen, le désaccord a atteint un point de non-retour au moment de l’affaire Aderlass (...). « Ils [l’UCI] voulaient des informations sur les coureurs impliqués. Ils étaient comme des fous, car on ne pouvait pas leur donner ces informations communiquées par les autorités. »

David Lappartient s’étonne d’avoir appris dans Le Monde et la presse italienne, au printemps, les noms des coureurs clients de ce réseau, depuis suspendus. « Je n’ai jamais eu et ne voudrai jamais avoir accès aux contrôles. Je n’ai jamais interféré. Mais que je m’intéresse à ce que fait la CADF n’est pas illogique : c’est une fondation de droit suisse créée par l’UCI. C’est l’UCI qui est signataire du code mondial antidopage. Si j’en arrive à apprendre dans la presse ce qui se passe, c’est un problème. La CADF avait oublié qu’elle avait un client qui s’appelle l’UCI. »

Pas de changement pour la gestion des résultats des contrôles

Le Breton se défend de vouloir, par ce geste, reprendre le contrôle du programme antidopage du cyclisme et souligne l’indépendance de l’ITA. Le directeur général de cette agence, Benjamin Cohen, s’étonne aussi que l’on puisse concevoir ce transfert comme un pas en arrière : « Dire que la CADF serait plus indépendante [que] l’ITA, c’est la première fois que j’entendrais ça. La CADF est quand même basée au siège de l’UCI ! »

Dans les deux cas, la Fédération internationale gardera la maîtrise de la deuxième phase des contrôles antidopage : la gestion des résultats – « ce qui reste un énorme problème », estime Rune Andersen.

(...)

Le CIO en ligne de mire ?

Hors des deux parties, le milieu de la lutte antidopage s’interroge sur les motivations de David Lappartient. « On espère qu’il l’a fait pour de bonnes raisons, sinon c’est très dommageable », dit un salarié de l’Agence mondiale antidopage (AMA).

Plusieurs observateurs extérieurs confient hors micro qu’il s’agit pour le Français de se faire bien voir du président du Comité international olympique (CIO), Thomas Bach, énergique promoteur de l’ITA.

« C’est une accusation facile, répond le maire du village de Sarzeau (Morbihan). Je prends mes décisions en toute connaissance de cause et dans l’intérêt des institutions que je représente. Si j’avais voulu plaire à Thomas Bach, on aurait rejoint l’ITA dès sa création. »

Quant à devenir le quatrième membre français du CIO, David Lappartient assure « ne pas être en campagne. Bien sûr, si un jour le mouvement olympique estime que je peux le servir, je serai honoré pour le sport que je représente. »

Certains de ses interlocuteurs assurent que, en privé, le Breton fait moins mystère de ses ambitions.


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Cette page a été mise en ligne le 14/12/2019