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Dossier dopage |
Le 14 juillet dernier, au soir de la 17e étape du Tour de France, l'hôtel où logeait l'équipe Bahrain Victorious à Pau était perquisitionné par les gendarmes de l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (OCLAESP), dans le cadre d'une enquête préliminaire ouverte au début du mois par le pôle de santé publique du parquet de Marseille. Des boîtes de tizanidine étaient retrouvées.
Substance également présente quelques semaines plus tard dans les analyses de trois coureurs du Tour de France 2021 sans que le lien entre ces coureurs et ceux de Bahrain Victorious ne soit officiellement validé. « Il y a des prélèvements qui ont été faits sur une équipe (7 coureurs), rappelle Pascal Kintz, toxicologue en charge de l'analyse des échantillons. Les gens en ont déduit que c'était telle ou telle équipe, mais, moi, je n'ai jamais dit qui c'était. Je ne confirme pas que c'était l'équipe qui a été très largement discutée dans la presse. » Il est, de toute évidence, intéressant de se pencher sur les caractéristiques de ce myorelaxant.
Un médicament contre la sclérose en plaques
Relaxer les muscles et réduire la douleur
« C'est quoi ce truc-là ? a été la première réaction d'un médecin réanimateur d'un hôpital parisien, voulant rester anonyme. Je ne connaissais pas, alors que je suis réanimateur, et neurologue avant ça. J'ai téléphoné aux collègues qui voient des patients atteints de sclérose en plaques. Ils en ont entendu parler mais ne l'utilisent jamais. »
La tizanidine - ou Sirdalud et Zanaflex pour les noms commerciaux en France - est un myorelaxant, c'est-à-dire qu'il agit pour relaxer les muscles, réduire les douleurs musculaires. « Les patients n'ont plus de mouvements fluides, ou plus du tout, et se mettent à avoir des contractions musculaires incontrôlables, explique Gérard Dine, professeur en biotechnologie. Les médecins sont donc obligés de traiter ces situations avec des médicaments comme la tizanidine qui permettent de bloquer les récepteurs au niveau des motoneurones et éviter la spasticité musculaire (raideur musculaire). Ce n'est quand même pas un médicament anodin. »
En France, la tizanidine n'est pas disponible en pharmacie (contrairement aux États-Unis ou en Espagne, par exemple), mais seulement à l'hôpital avec une autorisation temporaire d'utilisation (ATU), permettant donc à des malades d'être soignés par des médicaments pas encore mis sur le marché.
Dans le peloton en cas de force majeure
Un décontracturant fort pour suppléer les antalgiques
Néanmoins, Éric Bouvat, médecin de l'équipe cycliste AG2R Citroën, n'est pas surpris par l'évocation de cette substance. « Il faut revenir à la panoplie médicamenteuse d'un médecin du sport, rappelle-t-il. Les pathologies les plus fréquentes en médecine du sport nécessitent des anti-inflammatoires, des antalgiques et des décontracturants. Les décontracturants forts (le cas de la tizanidine) sont utilisés quand on a des contractures qui sont importantes, et pour lesquelles les antalgiques ne sont pas suffisants, lors d'une grosse chute par exemple. On n'en retrouve donc pas dans notre pharmacopée à nous, mais c'est un décontracturant qu'on peut imaginer utilisable dans certains cas. Il n'en reste pas beaucoup en France de ce type car leur utilisation doit être parcimonieuse et justifiée. Tu n'utilises pas ça tous les deux jours ! »
« Quand tu fais un Tour de France, c'est normal que tu aies des contractures et des douleurs musculaires, prolonge Samuel Maraffi, médecin de l'équipe B & B Hôtels - KTM. Après, je pense que même les myorelaxants qu'on connaît et qui sont utilisés en France ne marchent pas vraiment pour cette indication-là et les effets indésirables ne sont pas "sympatoches" (endormissement et diarrhées notamment). Ça m'est arrivé de donner des décontractants à base de magnésium et de calcium quand l'athlète avait beaucoup de douleurs, mais le chaud, le froid, le massage, le rouleau, l'électrothérapie, pour moi, marchent beaucoup mieux. »
À la frontière du dopage ?
Une substance qui peut favoriser la sécrétion d'hormone de croissance
La découverte d'un produit dans le milieu sportif entraîne toujours son lot de questions. Car même si la tizanidine n'est, pour l'heure, pas sur la liste des produits interdits (...), on peut se demander si le simple effet de décontraction musculaire est le seul but recherché. « Ça surprend toujours, surtout dans le milieu cycliste, glisse Jean-Pierre Verdy, l'ex-directeur des contrôles de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD). On découvre à chaque fois des choses. Bien souvent, ce qu'ils font paraît illogique, mais pour eux ça l'est, et, dans ce cas-là, ça peut être cohérent quand c'est associé souvent à d'autres molécules. » « Tout dépend de la quantité utilisée, suggère Maraffi. Peut-être qu'avec d'autres utilisations, d'autres dosages, ça peut avoir des effets au-delà de la décontraction musculaire comme un effet analgésique ou une stimulation d'autres filières énergétiques. »
La tizanidine, est, en effet, une molécule apparentée à la clonidine, substance qui peut favoriser la sécrétion d'hormone de croissance, propriété qui pourrait bien, pour le coup, intéresser les tricheurs.
« Ça ne serait pas honnête médicalement de dire que ce produit n'a rien à faire là, mais un décontracturant fort, tu ne le donnes jamais le jour de la course, conclut Bouvat. Tu le donnes tôt le soir après la chute pour être sûr qu'il n'y ait plus d'effets indésirables le lendemain, car sinon le gars va être tout mou. Il n'y a aucun effet bénéfique sur la performance. Si tu en donnes tous les soirs aux gens, ce n'est plus de la médecine. »
Cette page a été mise en ligne le 22/11/2022