Dossier dopage

Le dopage par ARN messager est-il possible ?


14/07/2021 - heidi.news - Fabrice Delaye

Dans les vaccins [contre le Covid-19] de Moderna et Pfizer/BioNTech, l'ARN messager de synthèse [sorte de duplicata de l'ADN] induit la production de protéines appelées antigènes, qui déclenchent la mise en place de l'immunité.

L'érythropoïétine [EPO] ou les hormones de croissance produites dans des cultures de cellules et utilisées depuis des années dans le cas de dopage sportif sont aussi des protéines qui peuvent être induites par des ARN messagers. Est-il dès lors envisageable que des ARN messagers produisent de telles protéines chez des athlètes ? Seront-elles invisibles aux tests parce qu'au lieu d'être injectées, elles sont produites par les cellules mêmes du sportif tricheur ? Les réponses d'Olivier Rabin, directeur exécutif sciences et partenariats internationaux de l'Agence mondiale antidopage.

Pourquoi ce n'est pas de la science-fiction

Développées pour des usages médicaux (l'insuline des diabétiques, par exemple), les protéines recombinantes fabriquées dans des cellules de mammifères modifiées génétiquement ont été dévoyées dès les années 1990 pour produire de l'EPO, qui augmente l'oxygénation du sang, ou des hormones de croissance pour la prise ou la régénération de muscles. S'agissant de protéines, elles peuvent être induites par des ARN messagers synthétiques. Cela a d'ailleurs été fait de manière expérimentale. Alors, pourquoi pas pour le dopage ?

Heidi.news – Envisagez-vous la possibilité de détournement des technologies d'ARN messager pour produire des protéines dopantes pour les athlètes ?

Olivier Rabin : Effectivement, c'est une possibilité et nous nous y sommes préparés. Dès mars 2002, l'Agence mondiale antidopage a organisé une conférence sur le dopage génétique. Elle a conduit à la mise en place d'un groupe d'experts internationaux, qui suit depuis les avancées dans ce domaine, y compris pour développer de nouveaux moyens de détection. Nous avons lancé au début de cette année un document technique sur la détection par PCR de dopage génétique afin d'harmoniser les pratiques des laboratoires antidopage. Nous définissons le dopage génétique comme un transfert d'acides nucléiques, que cela soit de l'ADN ou des ARN messagers, aux fins d'augmenter les performances sportives.

Avec l'ARN messager, ce serait les cellules des athlètes potentiellement dopés qui produiraient des protéines. Cela ne rendrait-il pas ces dernières indétectables ?

Non, il y a des différences entre les protéines produites naturellement et celles éventuellement induites par des ARN messagers de synthèse. Elles se produisent essentiellement au niveau de la glycosylation de l'EPO par exemple, autrement dit dans leur partie composée d'un glucide, indispensable pour qu'elles traversent la membrane des cellules. À côté de cela, on pourrait détecter les niveaux anormaux de ces protéines surnuméraires par leurs effets sur les variables biologiques mesurées dans le cadre du passeport biologique des sportifs. Et effectuer des tests plus approfondis en cas de suspicion. Enfin, ces technologies très prometteuses sur le plan médical ont quand même des limites au-delà de celles, évidentes, de mettre la santé des athlètes en danger.

Lesquelles ?

Eh bien tout d'abord les doses. Dans les vaccins à ARN messager, le dosage peut être relativement limité à cause de l'effet amplificateur que va avoir le système immunitaire et sa mémoire. Pour des protéines dopantes, il faudrait des doses d'ARN messager extrêmement importantes et, qui plus est, parfaitement ciblées pour s'exprimer dans des cellules bien précises. Je ne dis pas que ce ne sera pas possible un jour, mais on n'en est pas encore là. De plus, les vecteurs utilisés pour transporter ces acides nucléiques – qu'il s'agisse de lipides pour les ARN ou d'enveloppes virales pour les ADN – resteraient probablement détectables vu les quantités nécessaires. Tout cela est à mettre en balance avec les dangers pour la santé des athlètes qui essaieraient de telles techniques, mais aussi leur potentielle inefficacité.

Comment cela ?

Pour la plupart des protéines ou des hormones, il existe des mécanismes de rééquilibrage dans l'organisme humain. Si vous avez trop d'une protéine artificielle, l'organisme diminue souvent la production de la protéine naturelle, si bien que vous ne gagnez pas forcément grand-chose en effet biologique.

Ne serait-il pas alors plus logique, dans une perspective de dopage, non pas d'ajouter des gènes ou des ARN messagers pour produire des protéines, mais de moduler l'activité des gènes naturels avec des outils d'épigénétique ?

L'étude de la manière dont les gènes s'activent et s'expriment est un domaine qui progresse. Mais on est encore très loin de maîtriser les technologies qui pourraient influer sur cette expression génétique.

Malgré cela, avez-vous des indications de l'intérêt d'athlètes ou de préparateurs pour des thérapies géniques, qu'elles soient à base d'ADN ou d'ARN ?

Il n'y a encore eu aucun cas, mais on ne peut pas l'exclure à l'avenir. Nous savons que la technologie a pu intéresser certains athlètes et leurs entraîneurs. Nous avons eu des alertes au travers de nos réseaux d'informateurs. Cela dit, c'est un domaine où il y a aussi beaucoup d'escrocs. Dans un cas passé, nous avions commandé une prétendue EPO transgène. Il est apparu qu'en fait ce n'était que de l'EPO recombinante classique.

Pas de risque de dopage génétique aux JO de Tokyo alors ?

C'est très peu probable, en effet. D'autant moins que nous suivons cela avec les meilleurs experts du domaine, et la littérature scientifique.


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Cette page a été mise en ligne le 03/10/2023