Dossier dopage



Les stéroïdes anabolisants, un poison pour le cerveau


13/02/2018 - lemonde.fr - Sylvie Burnouf


Consommés pour accélérer le développement de la musculature, les stéroïdes anabolisants androgéniques peuvent entraîner des atrophies des testicules et des altérations neurocognitives graves.

Se donner les moyens de développer une musculature qui en jette fait manifestement partie des « bonnes résolutions » de début d'année. A partir de données fournies par Google Trends, des chercheurs britanniques se sont intéressés à l'intérêt porté par les internautes aux stéroïdes anabolisants androgéniques (...). Leur étude, publiée fin novembre dans International Journal of Drug Policy, décrit un phénomène clairement cyclique : chaque mois de janvier, le nombre de recherches effectuées sur ­Internet grimpe en flèche, pour atteindre un pic au début de l'été... avant de s'effriter progressivement à mesure que la fin de l'année approche.

La facilité avec laquelle ces produits prohibés peuvent désormais être dénichés sur la Toile a sans doute largement contribué à l'évolution du profil des consommateurs : auparavant cantonnée au milieu du sport de haut niveau, la prise de stéroïdes anabolisants est devenue monnaie courante parmi les adeptes des salles de musculation. (...)

Cette aspiration peut mener les consommateurs à en absorber de très fortes doses, « jusqu'à 1 000 ou 2 000 mg par semaine, note-t-elle, alors que l'organisme d'un sujet jeune ne produit normalement que 250 mg de testostérone par mois ». Or, « le cerveau ne fait pas la différence entre ces molécules exogènes et la testostérone normalement produite par l'organisme », souligne-t-elle. Deux petites structures situées à la base du cerveau, l'hypothalamus et l'hypophyse, ont en effet pour fonction de réguler la production de testostérone : lorsqu'elles détectent que cette hormone est en excès dans l'organisme, elles limitent sa sécrétion par les testicules afin d'en normaliser les taux. De fait, « le cerveau enclenche le mode off lorsqu'il est en présence d'un excès de stéroïdes anabolisants », résume Martine Duclos. Il en résulte que la production de testostérone par les testicules chute drastiquement, ce qui se traduit notamment, lors d'une consommation prolongée dans le temps, par une atrophie des testicules et une baisse de la fertilité (...).

« Jusqu'au risque suicidaire »

Au-delà des conséquences sur les caractères sexuels, il peut exister « des effets purement centraux [sur le système nerveux central] liés à une consommation excessive de ces produits », ajoute la médecin. Ces derniers agissent sur « des axes de stimulation qui sont neuro-excitants », précise l'addictologue William Lowenstein, président de l'association SOS Addictions et coauteur de Tous addicts, et après ? (Flammarion, 2017). « Les manifestations neuropsychiatriques qui en découlent relèvent de l'hypomanie, un état caractérisé par une hyperactivité importante et qui peut se transformer en agressivité chez ceux qui présentent un terrain sous-jacent », note-t-il. (...)

Mais ce n'est pas tout. « Une véritable addiction se met en place chez ceux qui prennent ces doses massives », s'alarme Martine Duclos, avec une « accroche [qui] peut être aussi importante que celle induite par les corticoïdes ou la cocaïne », ­estime William Lowenstein. Aussi l'arrêt de ces substances est-il associé à « un état de manque, avec une phase de descente caractérisée par un syndrome dépressif et une fatigue assez intenses, souligne-t-il. Cela peut aller jusqu'au risque suicidaire ». (...)

Hamster « addict »

S'il est difficile, chez l'homme, de discerner la part de dépendance induite par un effet direct de ces substances sur le cerveau de celle engendrée par la satisfaction de voir ses muscles augmenter de volume, de nombreuses études chez l'animal ont confirmé l'existence d'une servitude ­indépendante de la composante esthétique - jusqu'à preuve du contraire, les animaux ne sont pas soumis au diktat des salles de musculation ou des followers sur Instagram.

La plus marquante est peut-être celle publiée dans la revue Neuroscience en 2005 par deux chercheurs américains. Elle fait état de hamsters qui se sont auto-administré des doses de testostérone telles que certains en sont morts. Les symptômes d'intoxication étaient similaires à ceux que produisent les opioïdes, et quelques semaines à peine de shoots quotidiens auront suffi à ce que les rongeurs succombent à l'overdose.

Ces modèles animaux ont également permis de déterminer qu'au niveau moléculaire, le mode d'action était comparable à celui des autres drogues : les stéroïdes anabolisants activent les circuits de la récompense dans le système mésolimbique, en y régulant notamment les taux de dopamine et de peptides opioïdes ­endogènes comme l'endorphine.

D'autre part, les chercheurs commencent à s'intéresser aux conséquences de la prise de ces substances sur la morphologie du cerveau ­humain. Les premières études observationnelles suggèrent notamment que le cortex cérébral serait plus fin chez les haltérophiles consommant des stéroïdes anabolisants que chez ceux qui n'en prennent pas.

La démocratisation de la prise de stéroïdes pose donc problème. S'y attaquer ne sera pas simple, d'autant qu'un phénomène de déni semble assez répandu dans le milieu - « 99 % te ­ diront qu'ils ne prennent rien », fait remarquer un habitué des salles de musculation. En plus du « déni au sens le plus classique des addictions », il y a celui qui est « socialement induit », explique William Lowenstein.

« C'est plus qu'un simple mensonge : il y a l'idée de ne pas expliquer que l'on a triché si l'on a une belle musculature. »

Sans parler du fait que « ces produits vendus sur Internet rapportent plus que la drogue, et [qu']il y a moins de risques de se faire piéger », déplore ­Martine Duclos. (...)


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Cette page a été mise en ligne le 13/02/2018