Dossier dopage

Haro sur la créatine


24/03/2001 - Le Monde - J.-Y. N.

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En publiant, il y a quelques semaines, un avis concluant en substance à l'inefficacité quasi totale à petites doses et à la dangerosité potentielle des apports massifs de créatine à des fins dopantes (Le Monde du 25 janvier [2001]), Martin Hirsch, directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), a déclenché une controverse aussi vive qu'inédite.

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Il a aussi mis en lumière les profondes incohérences de la réglementation en vigueur qui fait que cette substance, très largement consommée dans de nombreux milieux sportifs à travers le monde, n'est, en France, ni autorisée ni interdite à la vente.

La publication de cet avis a été suivie d'une réaction des fabricants qui commercialisent, sous diverses formes, de la créatine, estimant que les allégations du directeur général de l'Afssa quant à la dangerosité de cette substance n'étaient pas fondées. Elle a aussi conduit le mensuel Sciences et avenir à qualifier l'Afssa d'"agence étatique" et à l'accuser d'"incompétence" et de "désinformation".

La découverte de la créatine remonte au milieu du XIXe siècle, et celle de ses principales fonctions au début du XXe grâce aux travaux de plusieurs biochimistes et physiologistes. L'émergence de cette substance dans les milieux du culturisme et du sport professionnel et amateur semble relativement récente, vers la fin des années 1980. "Une étude a montré qu'environ la moitié des sportifs participant aux Jeux olympiques étaient des consommateurs réguliers de créatine, peut-on lire dans le rapport du comité des experts spécialisés en nutrition humaine et réunis sous l'égide de l'Afssa. La supplémentation en créatine serait surtout le fait des culturistes, des lutteurs, de joueurs de tennis, des cyclistes, des rameurs, des sauteurs à ski, des skieurs alpins, voire nordiques, et de nombreux pratiquants de sports collectifs, parmi lesquels le rugby, le handball, le basket-ball, le football et le hockey sur glace."

Si l'ampleur croissante de la consommation française et internationale n'est nullement contestée, les questions de son efficacité et de son innocuité demeurent en revanche largement controversées. (...)

Est-elle efficace ? Comme nombre de substances utilisées à des fins dopantes (hormones androgènes, hormone de croissance, érythropoïétine notamment), la créatine est une molécule naturellement synthétisée par l'organisme. Elle est aussi naturellement présente dans certains aliments sans que l'on puisse - à la différence des vitamines ou des oligo-éléments - recommander des apports nutritifs quotidiens. On sait en effet qu'une alimentation de type végétarien ne fournissant pas de créatine ne provoque pas de carences, l'organisme assurant à lui seul la production de la créatine nécessaire à la contraction musculaire. C'est le rôle important joué par la créatine et ses dérivés qui, pour l'essentiel, servent de base aux incitations publicitaires à la consommation massive de cette substance.

Pour autant, une majorité de spécialistes de physiologie et de médecine du sport estiment que, s'il peut avoir un effet dans l'augmentation de la performance musculaire, ce rôle ne peut, dans le meilleur des cas, concerner, pour des périodes extrêmement brèves, que certains types d'exercices très spécifiques. Un consensus existe ainsi, au sein des experts, pour considérer qu'avec un apport exogène important de créatine les effets d'amélioration de la performance sportive ne concernent que les exercices brefs et répétés de haute intensité, durant quinze secondes au plus.

En fait, ces apports amélioreraient la répétition de mouvements relevant des forces "isométrique, isotonique ou isocinétique" sans pour autant augmenter la force maximale. On obtiendrait de la sorte un meilleur maintien de la vitesse du sprint court et répété (...) sans effet sur la vitesse maximale, ainsi qu'un meilleur maintien de la hauteur lors de détentes verticales répétées sans effet sur la hauteur maximale. La supplémentation en créatine n'a en revanche pas d'effets démontrés sur les épreuves de plus de 30 secondes relevant des autres filières énergétiques.

L'un des apports, souvent avancé, de la créatine est une augmentation du poids de l'organisme, souvent interprétée comme une augmentation de la masse musculaire. L'analyse de la littérature scientifique montre qu'environ un tiers des nombreuses publications concernant la supplémentation en créatine chez le sportif n'observent pas de variations significatives du poids. Les deux autres tiers montrent, avec de la créatine pure, des variations allant de 0,8 % à 2,9 %, au maximum, du poids corporel, obtenues dès les premiers jours, et selon toute vraisemblance dues à une rétention d'eau.

"L'augmentation de poids corporel ainsi obtenue se situe donc entre 0 et 2,5 kilogrammes au maximum, notent les experts réunis par l'Afssa. Ce phénomène devrait être systématiquement rappelé aux sportifs relevant de certaines spécialités comme la lutte, le judo, la boxe, voire l'haltérophilie, qui doivent contrôler leur poids corporel." Pour les experts, toute augmentation de poids corporel supérieure à 3 % peut être considérée comme ne relevant pas de la seule ingestion de ce produit mais de l'utilisation, consciente ou non, d'autres produits dopants fort répandus dans les milieux sportifs, la créatine fournissant un alibi de circonstance.

Est-elle dangereuse ? En pratique, les conseils des fabricants proposent aux utilisateurs de consommer environ 0,3 gramme de créatine par jour et par kilogramme de poids corporel pendant environ cinq jours (dose dite "de charge") 0,03 g par jour et par kilogramme durant les semaines ou les mois suivants (dose "d'entretien").


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