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Actualité du dopage |
L'Agence mondiale antidopage menace l'agence française d'exclusion.
Le 28 juillet dernier, l'AMA a envoyé un courrier à la Commission des sanctions de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD). Dans sa missive, rendue publique par l'AFP, l'agence mondiale reproche à la commission son manque de sévérité et menace d'engager des mesures de non-conformité à l'égard de l'AFLD.
Les conséquences d'une non-conformité pourraient être catastrophiques pour les sportifs français comme pour la tenue des Jeux olympiques.
La réponse de la Commission ne s'est pas fait attendre. Dans un communiqué, l'organisme parle de chantage et de tentative de pression de la part de l'AMA.
« Il s'agit d'un véritable chantage puisque l'agence mondiale menace d'engager une procédure qui pourrait aboutir à l'interdiction, pour les sportifs français, de participer à certaines compétitions internationales, y compris les Jeux olympiques, et à l'interdiction pour la France d'accueillir de telles compétitions. »
La commission française s'est dite stupéfaite par la démarche de sa maison mère.
« Depuis sa création, la Commission des sanctions a pris plusieurs centaines de décisions, indique-t-elle. L'AMA n'en a contesté aucune. Au lieu d'emprunter la voie légale en formant un recours devant le Conseil d'État, elle tente soudainement de s'ingérer grossièrement dans le fonctionnement de la Commission. »
Depuis 2018, les Français ont décidé de scinder en deux groupes les intervenants dans la lutte contre le dopage. L'AFLD s'occupe des enquêtes et propose ensuite des sanctions à l'encontre des athlètes suspectés de dopage. C'est ensuite la Commission des sanctions, un organisme indépendant composé de 11 membres, qui livre son verdict.
Le professeur de droit et directeur de la Chaire de recherche sur l'antidopage dans le sport de l'Université de Sherbrooke, David Pavot, a expliqué à Radio-Canada Sports que l'AFLD n'a pas de pouvoir sur la commission indépendante, qui sanctionne ou non un athlète, et il en donne un exemple précis.
« Le cas du sprinter français Mouhamadou Fall est assez éloquent, explique-t-il. L'AFLD proposait deux ans de suspension, car l'athlète avait omis de se présenter à trois reprises à un contrôle. La Commission des sanctions a relaxé le sprinter. C'est un des trois cas de manque de sévérité qui est reproché par l'Agence mondiale antidopage. »
Le spécialiste ne s'explique pas pourquoi l'AMA ne s'est pas adressée aux tribunaux sportifs. Devant la menace de non-conformité de l'agence nationale française, David Pavot ne croit pas que le gendarme mondial l'emporterait.
Si l'Agence française de lutte antidopage conteste sa non-conformité devant le Tribunal arbitral du sport, elle aurait des chances de gagner, affirme-t-il. En ce moment, c'est une sorte de dialogue qui se met en place entre les deux instances, mais à l'aube des Jeux de Paris, cela fait un peu "désordre" comme situation.
Je pense que le principal défi dans les rapports entre les deux agences, c'est un rapport de culture juridique, poursuit-il. L'AFLD est une agence administrative, et l'incompréhension de l'AMA, mais aussi d'autres agences dans le monde, c'est qu'une agence doit être complètement indépendante d'un État. Au Canada par exemple, le Centre canadien pour l'éthique dans le sport (CCES) est un OBNL. On voudrait une réelle indépendance du pouvoir; d'ailleurs, dans le cas de l'Agence française, sa présidence a été donnée à une très haute fonctionnaire détachée par l'État. On veut donc imposer au monde un modèle français républicain, alors que ce ne serait pas compliqué de mettre en place une organisation à but non lucratif.
Contactée par Radio-Canada Sports, l'AFLD, par la voix de son directeur des communications, Julien Marival, a répondu qu'elle n'était pas à l'origine du communiqué cité par l'AFP. Dans sa réponse, on sent qu'elle veut prendre certaines distances avec le document, pour le moins cinglant, de la commission indépendante.
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L'AMA a répondu par courriel qu'elle ne pouvait pas dévoiler le contenu de la lettre envoyée à la Commission des sanctions, mais a tenu à apporter une précision.
« L'AMA est l'instance dirigeante mondiale de la lutte contre le dopage dans le sport, et une part importante de notre travail consiste à veiller à ce que tous les signataires du Code mondial antidopage le mettent en œuvre de manière cohérente et équitable pour tous les sportifs. Sans cette cohérence à travers le monde, il ne peut y avoir de système antidopage harmonisé. Cette approche est soutenue par la législation des gouvernements du monde entier, y compris en France. Lorsque l'AMA craint qu'un signataire du Code ne respecte pas ses obligations, elle interviendra au nom des sportifs afin d'assurer la cohérence et la justice. »
On peut souffler, car de l'avis de tous, les menaces de l'agence mondiale ne risquent pas d'aboutir. La préparation des athlètes français et la survie des Jeux olympiques ne sont donc pas en danger.
Contactées par Radio-Canada Sports, certaines sources pensent que le gendarme de l'antidopage mondial a sorti un lance-flammes pour tuer un moustique, tout en affirmant qu'il faut que les sanctions soient les mêmes pour tous.
Cette page a été mise en ligne le 18/11/2023