Actualité du dopage

La roue ne tourne plus


27/06/2020 - L'Equipe - Gilles Simon

Les juges d'instruction ont conclu à un non-lieu à l'issue de l'enquête sur le moteur électrique dans le vélo. Les gendarmes n’ont rien trouvé.

Le 30 janvier 2016, lors des Championnats du monde de cyclocross de Zolder, en Belgique, les contrôleurs de l'UCI découvraient une assistance électrique dans un des vélos de Femke Van den Driessche. La jeune Belge, catégorie Espoirs, a été condamnée à six ans de suspension et restera à jamais la première cycliste de haut niveau « contrôlée positive » au moteur. Elle est aussi la dernière.

Quatre ans et demi plus tard, aucun autre coureur n’a été épinglé. Le 1 octobre 2017, on a bien attrapé un amateur de 42 ans dans une course secondaire de Dordogne à l'issue d'un contrôle soigneusement mis en scène et médiatisé, mais le contraste entre les fantasmes suscités et la réalité des faits est vertigineux.

En 2017, le Parquet national financier (PNF) a saisi deux juges d'instruction, Claire Thépaut et Serge Tournaire. D'après Le Canard Enchaîné, qui avait révélé, en décembre de la même année, l'ouverture de l'information judiciaire (pour escroquerie ou tentative d'escroquerie, faute de délit spécifié dans la loi française), ils soupçonnaient un pacte de corruption scellé au plus haut niveau international », entre institutions et équipes, voire fabricants. Les gendarmes de la section de recherches de Paris ont été chargées de l'enquête et ont parfois sollicité leurs collègues de l'Oclaesp (...) quand il fallait intervenir dans un milieu ou un contexte qu’ils ne maîtrisaient pas.

L'éradication du moteur dans le projet du candidat Lappartient

Le PNF nous a confirmé cette semaine que « cette affaire a fait l'objet d'une ordonnance de non-lieu pour infraction non caractérisée le 13 janvier 2020. Entre-temps, David Lappartient a bâti une partie de sa campagne pour l’élection à la tête de l'UCI (...) sur l'éradication du moteur. Le Breton a été élu à l’automne 2017 et a lancé la Fédération internationale dans une grande campagne de traque. Le Britannique Mark Barfield, précédent responsable de la lutte contre la fraude technologique à la Fédération internationale, a été écarté, et l'UCI a engagé de grandes dépenses pour se doter de moyens de contrôle améliorés. Elle a acquis une « unité à rayons X transportable », bien qu'une expérience similaire avait été tentée des années auparavant et qu’on en avait conclu que le procédé était trop lent, trop lourd et trop coûteux.

Les caméras thermiques n'ont rien dévoilé

L'UCI a aussi conclu un partenariat avec le CEA (Commissariat l'énergie atomique), qui a notamment développé des caméras thermiques embarquées en course. Ces derniéres ont repéré un échauffement au niveau du pédalier d'un coureur durant le Tour 2018, donnant quelques sueurs froides à l'équipe concernée. Fausse alerte : l'émanation de chaleur n'était due qu'à un défaut mécanique. Le CEA a aussi concu un prototype permettant de contrôler en temps réel et en permanence, du départ l'arrivée d'une course, tous les vélos embarqués. Les premiers essais ont été concluants mais le coût de l'opération est surdimensionné pour le budget de I'UCI. Conclusion : la seule technique opérationnelle et financièrement convenable restait la magnétométrie, c'est-à-dire les tablettes déjà utilisées par Mark Barfield... Le reste relevait de l'image et de la politique.

Les enquéteurs (qui n'ont pas souhaité répondre nos questions) n'ont pas entendu Brian Cookson et Martin Gibbs, respectivement anciens président et directeur général de I'UCI, ni méme Mark Barfield. Mais ils ont interrogé le Hongrois Istvan Varjas, incontournable dès qu'il s'agit d'assistance électrique puisqu'il s'est pompeusement autobombardé inventeur du vélo à moteur. Ils ont cependant rapidement cerné ses limites scientifiques et son penchant pour l'affabulation.

Ces dernières années, chaque roue de vélo qui tournait dans le vide a déclenché un absurde emballement médiatique, comme celui qui a emporté Toms Skujins lors de l'étape Dreux-Amiens du Tour de France 2018. Les images, tronquées, montraient sa roue arriére tourner toute vitesse alors que le Letton replacait son vélo sur la chaussée après une chute collective. En rembobinant la séquence un peu plus loin, on s'apercevait qu'il avait donné un coup de pédale pour vérifier l'état de sa roue. Pourtant, même le contrôle minutieux de son vélo n'a pas suffi doucher les interrogations. Interloqués, les juges ont donc dépéché les gendarmes sur le Tour.

Ils ont aussi demandé Pierre Sallet un rapport sur les techniques employées par I'UCI.

L'autoproclamé expert en tricheries en tous genres, lui aussi rameuté sur le Tour 2018, a largement critiqué le dispositif de I'UCI, jugé insuffisamment efficace. Probléme : l'instance internationale avait auparavant refusé de financer un de ses projets basé sur le visionnage télé et les fréquences de pédalage...

Lors de la journée de repos de Carcassonne, les enquêteurs parisiens, épaulés par un responsable de l'Oclaesp, ont interrogé Jean-Christophe Péraud. Le manager « Matériel et lutte contre la fraude technologique » de l'UCI, recruté quelques mois plus tôt, leur a expliqué le fonctionnement des contrôles et reconnu qu’ils étaient perfectibles. Mais il a refroidi leur enthousiasme. « À 99 %, il n'y a pas de moteur dans le peloton », dit encore aujourd’hui le deuxième du Tour de France 2014.


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Cette page a été mise en ligne le 31/10/2022