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Actualité du dopage |
Malgré l'absence de Flober Peña Peña, reparti en Colombie, l'audience spéciale du tribunal correctionnel de Pointe-à-Pitre a permis, durant la totalité de la journée d'hier, de saisir tous les rouages d'une pratique illégale. Retour sur ce grand déballage.
Cette audience spéciale du tribunal correctionnel de Pointe-à-Pitre consacrée au dopage dans le milieu du cyclisme et qui s'est tenue durant toute la journée d'hier aura offert de nombreuses révélations. Et même un grand déballage qui a mis en lumière toute l'organisation d'un réseau très organisé pour alimenter nombre de coureurs en substances interdites. Parce que même si les débats se sont tenus en l'absence de Flober Peña Peña, ex-grande star du Tour de Guadeloupe, qui, après n'avoir respecté aucune des obligations de son contrôle judiciaire, n'a pas jugé bon de participer au procès. Même si une autre gloire locale du cyclisme, Jean-Claude Luce, ne cessera de rejeter en bloc toutes les accusations au point de jurer ses grands dieux ne rien connaître à ces pratiques illicites, des langues se sont finalement déliées chez les autres prévenus. La règle étant pour ces derniers, bien entendu, de tout minimiser.
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Ça a commencé avec l'audition de Franck Souprayen. L'homme ne fera pas de difficulté pour renouveller ses aveux. Profitant de son emploi de « chauffeur livreur et préparateur de commandes » au sein du groupement pharmaceutique de Guadeloupe, c'est lui qui se serait chargé de fournir EPO et produits stimulants. « Un grand nombre de ces médicaments sera d'ailleurs retrouvé chez lui lors des perquisitions. (...) » , glissera à ce sujet la présidente du tribunal.
Pour en faire quoi ? Les remettre à son frère, Fabrice, un ex-cycliste à qui l'on devrait la structuration du réseau et qui, à en croire certains sportifs, n'aurait pas hésité à jouer au docteur en effectuant lui-même les injections. « J'ai été approché par des coureurs que je connaissais bien et qui recherchaient de l'EPO. Au départ, c'est Richard Vingadapaty qui a effectué la première demande. Puis il y a eu Pascal Brancour, Guy-Charles Cherod... »
À plus de 100 euros la dose, à en croire les tarifs annoncés quelques heures plus tôt par l'ancien médecin fédéral, le marché s'annonçait florissant pour un homme sans emploi. Sauf que ce « cerveau » présumé la joue petit braquet dans la salle d'audience : « Souvent, je donnais les produits. Ou alors, je les échangeais contre du ciment car je construisais ma maison. » Prompt à mettre en cause la plupart des cyclistes poursuivis, Fabrice Souprayen ne cessera également de protéger Jean-Claude Luce et Flober Peña Peña, en assurant ne leur avoir jamais rien fourni. Crédible ?
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Pas pour les autres prévenus en tout cas, d'où ont émergé des intermédiaires et seconds couteaux. Parmi eux, Guy-Charles Cherod qui, tout en se présentant comme « un citoyen honnête » , admettra depuis son magasin spécialisé dans le vélo, avoir alimenté Nicolas Dumont qu'il... sponsorisait. « Nous sommes dans un petit pays. Dans le cyclisme, tout le monde savait qu'on pouvait se fournir auprès de Fabrice pour des produits récupérants et des hormones de croissance. Par contre, moi, je n'ai jamais touché à l'EPO. »
Des propos confirmés par Richard Vingadapaty, cycliste amateur sur le retour : « Dans les années 2008, Fabrice Souprayen m'a demandé si je connaissais des gens qui pourraient acheter ses médicaments. Je lui ai répondu que je me renseignerais et je suis allé voir Cherod. C'était quelqu'un de très sérieux dans son travail, avec qui je pouvais parler de tout. Il s'agissait, à mon tour, de lui demander s'il connaissait du monde. »
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Quant à la finalité de ce trafic, elle n'a pas été longue à trouver. Avec sa voix nasillarde, comparable à celle de Richard Virenque, le cycliste Pascal Brancour l'évoquera avec un naturel déconcertant : « Si j'ai accepté d'acheter ces produits, c'est parce que je voulais être fort et performant. » Et ça, c'était monnaie courante dans le peloton à partir des années 2007. C'est en tout cas le point de vue de Nicolas Dumont, surnommé par les autres cyclistes le « pharmacien » : « En arrivant en Guadeloupe, j'ai vu que le peloton roulait pas mal. Sauf que plus les années passaient et plus ça roulait vite. En 2006, par exemple, j'ai constaté que mes performances n'avaient pas changé mais que je ne gagnais plus comme dans le passé. Je me suis alors rapproché de Chérod pour en parler. Il m'a répondu qu'il pourrait me dépanner. Ici, les performances étaient devenues tellement exceptionnelles qu'on ne pouvait avoir que des doutes. Beaucoup de cyclistes prenaient des produits. À commencer par Peña Peña. Lui, il écrasait tout le monde. On ne pouvait que se poser des questions. Mais ce n'était pas le seul. »
Reste maintenant à savoir si ce procès ne sera pas celui d'une poignée de lampistes censés « masquer la forêt » , comme le glissera encore Dumont pour expliquer son surnom dans le peloton. Durant l'audience, pas mal d'avocats de la défense et de prévenus le glisseront à demi-mots. En évoquant « des cyclistes protégés » ou encore des présidents de clubs « réglant les problèmes, lors des contrôles, avec des dessous de table » .
À l'issue de ce grand déballage, une question demeure : le ménage a-t-il été fait au sein du cyclisme guadeloupéen ? Venu assister au procès en qualité de partie civile, David Lapartient, président de la fédération française de cyclisme, s'en disait convaincu.
Cette page a été mise en ligne le 16/05/2013