|
Actualité du dopage |
Alors que les affaires de dopage ne cessent d'ébranler le cyclisme professionnel, le peloton amateur doit, aussi, avaler la potion amère. En Bretagne, région où il est le mieux représenté en nombre de licenciés et de compétitions, il est secoué, coup sur coup, par deux nouvelles affaires révélatrices des pratiques en cours. La première, dévoilée le 9 novembre, a mis en cause deux anciens coureurs du cru, l'ex-professionnel Patrick Béon et son frère Gérard, mis en examen pour trafic de produits stupéfiants. On reproche au premier, aujourd'hui écroué, d'avoir fait venir illégalement des Pays-Bas et de Belgique plusieurs paquets d'amphétamines mélangées à de la caféine ou à de la cocaïne, du «pot hollandais», qui se distingue de son homonyme belge par l'absence d'héroïne. Le «produit» était destiné, au moins en partie, au cyclisme amateur régional. Selon les enquêteurs, il s'agirait d'un trafic établi depuis plusieurs années et relayé sur le terrain par des cyclistes, amateurs ou anciens professionnels. Cette tempête à peine déclenchée, c'est dans le nord du Finistère qu'un second coup de tonnerre éclatait dans le ciel tourmenté du vélo breton. Un médecin de Plouescat, Yves Kerrest, 57 ans, par ailleurs capitaine des sapeur-pompiers et président du club local, la Ceinture dorée léonarde, fait l'objet d'une plainte pour «mise en danger de la santé d'autrui». La Caisse primaire d'assurance maladie lui reproche d'avoir, en 1998, indûment rédigé des ordonnances prescrivant corticoïdes, amphétamines, androgènes et autres vasodilatateurs à cinq coureurs armoricains. C'est en lisant la presse sportive locale que la caisse s'est fait l'écho d'anomalies flagrantes: certains de ces coureurs, malgré de supposés problèmes respiratoires ou rénaux graves, se retrouvaient régulièrement sur les podiums. Une information a été ouverte à Morlaix et une procédure suit son cours auprès du conseil national de l'ordre des médecins.
Ambiance morose. Deux scandales dans la même semaine, cela fait beaucoup pour une seule région. Et, entre mutisme et mauvaise foi, l'ambiance était particulièrement morose, le 18 novembre à Saint-Pol-de-Léon, lors de l'assemblée générale du comité départemental de cyclisme du Finistère, l'un des plus importants de Bretagne. Même si l'humeur d'une partie de l'assistance restait cantonnée à la bonne vieille politique de l'autruche plutôt qu'à la franche rébellion.
«Cela existe, on n'y peut rien, lâchait, fataliste, un vieux routard des critériums. En tant qu'organisateur je ne peux pas contrôler tout le monde, et, tant qu'on prendra seulement le cyclisme pour cible et non l'ensemble des disciplines, comment mettre de l'ordre? Et puis, ce toubib, il a fait aussi énormément pour le vélo, il est allé chercher des cyclistes à l'abandon. Il y a des pourris, mais parlons aussi des coureurs qui ne sont pas dopés. Et de tous les gens honnêtes et bénévoles qui sont aujourd'hui salis.» Un autre organisateur, qui connaît depuis plus de trente ans sur le bout des guidons à peu près tout ce qui se fait comme compétitions dans la région, a le mérite d'être catégorique: «Le dopage? rien à branler!», lance-t-il, mi-hilare, mi-excédé.
Les chiffres pourtant ont de quoi inquiéter les adeptes locaux du vélo. Le nombre de licenciés baisse (2 348 en 2000, 2 746, il y a deux ans). Une quarantaine de courses ont disparu en trois ans. Explications avancées: la démographie, l'effet Mondial de football et, tout de même citées, «les affaires de dopage, dont la presse fait largement écho». Une remarque qui a eu le don de faire sortir de ses cale-pieds un membre de l'assistance: «Est-ce la presse qui a fait venir des produits de Belgique? Est-ce la presse qui prescrivait des ordonnances?, s'est insurgé le rebelle, jetant un froid dans la salle. Si on se met un grand casque sur la tête, on va plonger!»
Contrôles trop rares. Quelques instants plus tard, c'est l'organisateur de la Ronde finistérienne, une course départementale, qui, l'oeil aussi noir que la moustache, prenait le relais, interpellant le représentant du comité régional: «Y en a marre, si ça continue j'irai mettre mon énergie ailleurs. Les sponsors nous demandent des comptes, les gens dans la rue nous demandent des comptes, alors j'aimerais savoir où on en est. Et qu'on ne vienne pas me dire qu'on n'y peut rien!» Réponse en forme d'aveu d'impuissance: «Lors de la dernière saison, nous avons demandé au ministère de la Jeunesse et des Sports des contrôles sur 35 courses. Nous n'en avons eu que deux qui ont été contrôlées.»
«Si la fédé avait fait le ménage, on n'en serait pas là», souffle en aparté, amer, un ancien coureur.
Hormis ces coups de gueule, quelques soupirs découragés et les déclarations de bonnes intentions («La formation est le seul moyen de sortir de cette mélasse et de fabriquer un nouveau cyclisme»), certains déployaient aussi beaucoup d'efforts pour simulant le plus grand détachement. Comme ce président du club de Plouvien, le premier du Finistère lors de la dernière saison avec 41 victoires, toutes catégories confondues, mais qui a le malheur d'avoir eu Yves Kerrest comme médecin sportif de référence. «Est-ce que j'ai l'air d'un président déstabilisé?, se défend-il. On n'a rien à se reprocher. Je suis un type propre avec des gars propres. Mes trois coureurs d'Elite font l'objet de contrôles longitudinaux: sans aucun problème.» Ses coureurs ont-ils eu à faire au Dr Kerrest? Aucun, assure-t-il. Il oublie Jean-françois B... (il a souhaité conserver l'anonymat), champion du Finistère en national à 24 ans, qui l'avait comme médecin traitant. «Le docteur Kerrest ne m'a jamais rien proposé, jure-t-il cependant. On le traite de criminel, mais c'est uniquement à la demande de certains coureurs qu'il a prescrit des produits. Dans les années 80 et au début des années 90, le dopage était plus répandu dans le milieu amateur, on en parlait ouvertement, mais, depuis, les contrôles sont très dissuasifs. Au début où je courais, on m'a proposé des trucs, j'ai toujours refusé. Mais chacun a le droit de jouer avec sa santé comme il veut. Si le dopage permet de mieux récupérer et de faire davantage de courses, cela n'a jamais rendu bon un mauvais coureur. Personnellement, j'ai encore envie de courir. Je crois en mes adversaires, je crois au vélo et quand j'aurai des doutes, j'arrêterai.»
Vache folle et pot léonard. En attendant, à trois coups de pédale de là, à Plouescat, où le Dr Kerrest avait encore son cabinet médical il y a quelques mois, avant de partir en retraite en Espagne, on se sent davantage préoccupé par la vache folle que par la «kerrestine» ou le «pot léonard», expressions désormais consacrées. «Ici, c'est un tout petit club, remarque une patronne de bistrot, les coureurs devaient venir d'ailleurs. Mais si cela se passe à un petit niveau, qu'est-ce que cela doit être au niveau professionnel?» Le président du comité départemental (réélu), Bernard Calvez, a son idée: «Avec le procès Festina, je me suis rendu compte à quel point c'était l'usine, dit-il. En amateur, à côté, c'est du bricolage.» Un bricolage dont les effets secondaires, à en juger par les dossiers instruits en Bretagne, pourraient se révéler tout aussi dévastateurs.
Cette page a été mise en ligne le 14/11/2024