Actualité du dopage



Une première au tribunal d'Abbeville

19/10/2000 - L'Informateur

Extraits

L'affaire avait fait grand bruit à l'époque. Il faut dire que l'on sortait à peine du (...) tour de France de (...) 1998 (...) et puis voilà que dans la région d'Abbeville, dans le Ponthieu, dans la Picardie Maritime mais également dans l'Aisne et dans l'Oise on découvre qu'il existe un trafic. Gros titres dans les journaux, reportages télé, c'est le scoop sportif de la fin de siècle, enfin presque. En effet, si sur le fonds, l'affaire était grave (vol de produits dopants dans un laboratoire abbevillois et cession à plusieurs coureurs de notre région, du cyclotouriste du dimanche au semi-pro ou pro), dans la forme, elle ne concerne que des quantités minimes de produits d'autant que la prescription aidant (cinq ans), les personnes poursuivies n'ont pu l'être que sur une période réduite.

En fait le côté assez exceptionnel de cette affaire vient du fait que c'est la première fois, à notre connaissance, qu'est évoquée une affaire de dopage dans le cyclisme devant un tribunal correctionnel. Et pourtant, ce dopage n'aurait même pas dû être évoqué lors de cette audience du tribunal d'Abbeville que présidait M. de Kermerchou. Ce dernier l'avait d'ailleurs bien précisé : "les prévenus sont là pour répondre de vol et de recel, pas d'utilisation de produits dopants". Mais (...) il fut beaucoup (...) question du dopage au cours de cette audience. La nébuleuse qui, aujourd'hui encore, entoure ce fléau fait que chacun (...) a envie de savoir, de comprendre et peut-être de mesurer enfin l'ampleur du mal. L'affaire d'Abbeville n'a pas répondu à cette question, elle a simplement permis de découvrir que le mal peut être partout, tant chez les amateurs que chez les pros, tant chez les jeunes que chez les moins jeunes.

En 1998 la Coopérative d'Exploitation et de Répartition Pharmaceutique (CERP) s'aperçoit qu'elle est victime depuis un certain nombre d'années de vol de produits tels qu'anabolisants, amphétamines ou corticoïdes. Immédiatement les soupçons se portent sur une personne chargée d'assurer le transport de ces produits chez les pharmaciens d'autant que cette personne est connue (...) pour ses liens dans le milieu du vélo.

Arrêtée cette personne sera placée en détention préventive pendant quatre mois et l'enquête amènera à la barre du tribunal six autres prévenus, anciens coureurs, pour certains de très bons niveau. Il leur est reproché pour les uns d'avoir servi d'intermédiaire pour dépanner des copains et pour les autres d'avoir eu en leur possession les produits provenant du vol.

Le président de Kermerchou a bien essayé de démonter le mécanisme de ce trafic mais les langues ne se délient pas facilement. Chacun reconnaît globalement ce qui lui est reproché, point. En fait ce sont les plaidoiries des avocats (...) qui alimenteront la réflexion.

L'avocat du CERP exprimait deux regrets : le comportement des prévenus "qui comme des consommateurs de drogue ne veulent pas se comporter en balance" et l'absence de regrets dans la bouche de ces mêmes prévenus (...). Me Arnaud de St Rémy a reconnu que le préjudice financier direct n'était pas important pour le CERP mais il a tenu à souligner l'énorme travail de contrôle et de recherche qui a dû être réalisé à posteriori pour déterminer la quantité de produits dérobés.

Me Mauriac représentait la Fédération Française de Cyclisme (...). Dans le procès d'Abbeville, les avocats de la défense ont en préambule contesté la recevabilité de sa constitution de partie civile. Me Crépin notamment rappelait que l'affaire qui était jugée devait être le vol et le recel de vol et qu'il ne voyait pas en quoi la FFC avait subi un préjudice à la suite de ce vol.

Le président de Kermerchou a tout de même donné à Me Mauriac l'occasion d'exprimer la position de la FFC. (...) Me Mauriac rappelait que par les textes, la FFC est chargée d'une mission de service public. "Nous estimons que le vol et le recel avaient pour but d'approvisionner des licenciés et nous pensons que la fédération est fondée et a le devoir de se porter partie civile".

(...)

M. Florent Boura, substitut du procureur rejoignait les avocats de la partie civile dans leurs regrets concernant le comportement des prévenus. "On attendait d'eux un discours plus moral. Je pensais avoir affaire à des gens qui avaient un véritable amour du cyclisme et je me rends compte que cet amour passe, pour certains, par le dopage. Même au plus bas niveau, cette gangrène qu'est le dopage existe. Je suis effrayé d'avoir entendu un des prévenus dire j'ai arrêté le cyclisme parce que je devenais accro et avoué qu'il avait continué ensuite à "dépanner" quelques camarades". Florent Boura concluait en se posant la question des sanctions : "Certains seront surpris parce les sanctions que je demande ne correspondent pas au bruit qu'a fait cette affaire mais il faut tenir compte du préjudice qui reste peu important". M. Boura demandait un an de prison dont huit mois avec sursis à l'encontre du principal prévenu accusé du vol des produits, 6 mois de prison avec sursis pour les deux personnes qui ont reconnu avoir servi d'intermédiaire pour "dépanner" leurs petits camarades et des peines d'amendes pour les quatre autres prévenus.

(...)

Pour l'avocat de l'un des prévenus, son client est d'abord une victime, victime de sa passion, victime du système. "Qu'est-ce que l'on a comme avenir dans notre région lorsqu'on quitte l'école à 15 ans. Mon client s'est aperçu qu'il avait un don pour le vélo, il se dit que grâce à ce don, il a la possibilité de s'en sortir mais on lui fait vite comprendre qu'il faut qu'il ait des résultats...". Pierre Van Maris pour un autre prévenu était encore plus virulent : "Il y a longtemps que la FFC aurait dû faire le ménage car dans les grandes écuries, quand on ne se "soigne" pas, on est viré...". (...)

Sportif passionné, Me Crépin qui défendait notamment le principal accusé dans cette affaire, essayait de recadrer l'affaire. "Mon client il a commencé en piquant des pilules comme l'employé d'une épicerie prend un fruit quand il a faim. La force de l'habitude, la force de la bêtise". Il a également tenu à souligner : "il manque quelqu'un à ce dossier, le sponsor. Le dopage est un lien logique entre les enjeux sportifs et les enjeux financiers" avant de s'en prendre également aux organisateurs : "ce ne sont pas les coureurs qui décident des étapes de 250 km avec quatre cols, ce sont les organisateurs". (...)

Le président de Kermerchou s'est donné jusqu'au 8 novembre pour rendre son verdict, un verdict qui rappelons-le ne concernera que le vol et le recel de vol. (...)


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