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Actualité du dopage |
UN Italien vient d'ouvrir en grand l'épais - et terrifiant - dossier du dopage « moderne ». Sandro Donati, maître de recherche au Comité olympique italien, livre en effet un rapport édifiant sur les pratiques actuelles, dans le cyclisme en l'occurrence. Bien qu'il ait fallu trois ans pour que cet acte d'accusation sorte des tiroirs officiels, sa force explosive n'en est aucunement amoindrie. Au terme d'une patiente enquête qui a permis de recueillir une somme de témoignages, l'ampleur du fléau trouve une base concrète et dépasse enfin le stades des éternelles rumeurs et des choses-que-l'on-sait-mais-que-l'on-ne-dit-pas.
Le journal « l'Equipe » livre, dans son édition d'hier, les éléments clés de ce rapport. Il en ressort deux conclusions essentielles : d'abord, la généralisation du phénomène (80% du peloton international serait concerné) et le changement de nature du dopage lui-même, qui, à l'instar d'une dangereuse course aux armements, délaisserait progressivement les stéroïdes anabolisants pour d'autres hormones (ACTH, HCG et bientôt hormone à l'insuline) aux effets secondaires plus inquiétants encore (...).
Sandro Donati a dans sa ligne de mire un personnage célèbre (...) du sport italien : le professeur Francesco Conconi. Celui-ci est président de la commission médicale de l'Union cycliste internationale (UCI), donc à ce titre chargé de mettre notamment au point les tests de dépistage de l'EPO. Pour Donati, ce personnage est surtout - le paradoxe en devient effrayant - « l'un des grands responsables du dopage par l'EPO (...), expert dans l'opération de « rééquilibrage » entre l'EPO et les fluidifiants pour éviter que le sang ne devienne de la marmelade. Ce qui n'empêche pas certaines bavures : vomissements, diarrhées. Alors, on camoufle ça en intoxications alimentaires ».
Le rapport met en avant des témoignages accablants. Sept médecins et vingt et un coureurs acceptent de parler. On apprend ainsi que Joachim Halupczok, champion du monde amateur en 1989, décédé officiellement d'une « crise cardiaque classique », était suivi par un médecin ayant eu « de gros problèmes dans des affaires liées au dopage des chevaux ». Ou encore qu'un coureur italien connu a failli mourir une nuit lors du Giro 1993. « Victime d'un collapsus cardiaque à cause d'une trop forte quantité d'EPO », il a fallu lui injecter un fluidifiant dans le sang ; « son pouls ne battait plus qu'à 25 pulsations/minute ».
Sandro Donati met ensuite clairement en accusation le business autour de l'industrie du dopage : « Les intérêts qui viennent s'y greffer sont énormes, et toute une faune de trafiquants gravite autour. En six mois, l'année dernière, une pharmacie de la province de Pise a écoulé plus de 150 millions de lires (environ 600.000 francs) de flacons d'EPO. » Un ancien coureur détaille dans ce rapport l'inégalité par l'argent qui se dessine, là aussi : le « dopage du pauvre » pour un coût annuel de 35.000 francs et le « dopage du riche » pour une dizaine de séances par an à 55.000 francs l'unité. (...)
Les récentes déclarations solennelles de certains responsables du cyclisme, notamment en France (Jean-Marie Leblanc, directeur du Tour, ou Daniel Baal, président de la Fédération), montraient l'inquiétude inédite face au niveau atteint par le dopage et surtout ses nouvelles formes, qui présentent certains aspects « monstrueux ». Les valeurs originelles du sport sont directement mises à mal, mais plus concrètement une certaine forme de sport-spectacle, bien qu'aujourd'hui encore très lucrative, menace également, à terme, de s'effondrer. En clair, le dopage s'il se nourrit du business sportif peut aussi le tuer. S'accommodera-t-on de vainqueurs du Tour de France victimes plus tard de cancer ou d'arrêt cardiaque ?