Actualité du dopage



Le colis compromettant du Dr Nicolas Terrados

2007 - Carnets de route - Bernard Duboux


Peu avant le départ [de la Vuelta 1999], (...) j'avais pris l'autoroute pour Alicante et à la première station-service je m'étais arrêté pour faire le plein d'essence. J'étais seul et cette halte me donnait l'occasion de parcourir les journaux que j'avais avec moi. Je mettais la voiture un peu à l'écart et me plongeais dans la presse espagnole, à la recherche d'informations susceptibles d'intéresser les téléspectateurs romands au lendemain du prologue. De temps en temps, je levais les yeux par curiosité et jetais un coup d'oeil à la ronde. Et là, à cinq mètres, je voyais arriver tout à coup un Chrysler vert foncé duquel descendait le docteur Terrados. Je reconnaissais immédiatement le médecin de l'équipe Once-Deutsche Bank. Mais le véhicule était banalisé, sans aucune publicité ni même le nom de la formation espagnole, avec juste un bandeau d'accréditation sur le pare-brise. Connaissant Manolo Saiz et sa recherche forcenée de publicité, cette absence d'identification me paraissait étrange. Je m'en faisais la réflexion avant de poursuivre ma lecture tout en surveillant discrètement le manège du médecin espagnol. Après avoir rempli le réservoir, celui-ci payait au comptoir et revenait à son véhicule. Mais au lieu de démarrer, il ouvrait la porte latérale du Chrysler et en sortait un sac blanc en plastique non transparent qu'il s'en allait déposer dans un conteneur à ordures quelques mètres plus loin. Tiens, tiens...

Compte tenu de la réputation du docteur Terrados, de ses antécédents, des affaires en cours, du spectre du dopage, cette scène m'intriguait. D'un coup, je me sentais devenir Nestor Burma : il fallait que je sache. De mon emplacement, je voyais ensuite Terrados s'installer au volent du Chrysler et quitter la station. Après quelques secondes, il disparaissait de ma vue. Pour ne pas éveiller l'attention, j'attendais cinq minutes, en feignant toujours de lire. Puis je mettais le moteur en marche et approchais ma voiture du conteneur, bien décidé à retrouver le fameux sachet. Je descendais, levais le couvercle métallique et saisissais le sac en plastique. Je l'ouvrais rapidement et constatais qu'il contenait plusieurs ampoules et des seringues. Cette découverte m'excitait car j'avais le sentiment de mettre la main sur quelque chose de pas très légal. Je n'avais toutefois pas le temps d'aller plus loin dans mes investigations car la foudre me tombait dessus. Surgissant de je ne sais où, le docteur Terrados m'arrachait furieusement le sac des mains en hurlant. Il était revenu en arrière sans que je m'en aperçoive, preuve qu'il n'avait pas vraiment la conscience tranquille. En fait, il m'avait repéré (en particulier la voiture TSR) et, pour justifier son comportement, il prenait à témoin les quelques clients et les responsables de la station-service qui n'avaient rien vu de la scène.

- Ladron, ladron (au voleur !), gueulait-il

Sans relâcher la pression, il ameutait la galerie, se faisant passer pour la victime d'un vol, par un étranger de surcroît. Comme si je lui avais dérobé quelque chose de vital dont il s'était débarrassé quelques minutes auparavant. Bizarre, vous avez dit bizarre...

Il était hors de lui et sa personnalité vicieuse m'apparaissait plus insupportable que jamais. Je m'expliquais férocement avec lui et le traitais de " docteur doping ! ". Je le voyais alors composer un numéro sur son téléphone portable et insister :

- Policia, policia !

Malgré ma conviction de ne rien avoir à me reprocher, je m'inquiétais pour la suite car je maîtrise très imparfaitement l'espagnol et je m'attendais au pire en cas de confrontation avec la Guardia Civil, toujours très solidaire de ses nationaux. En raison de l'influence du groupe ONCE en Espagne, je me voyais mal faire triompher mon point de vue et obtenir des policiers qu'ils fassent analyser le contenu ! Je redoutais surtout d'être bloqué longuement et de rater le direct car il me restait cent cinquante kilomètres de route jusqu'à l'arrivée. Décidément, depuis l'arrestation de Willy Voet, le cyclisme vivait en plein polar. Je regrettais d'être seul. Avec un confrère auprès de moi, le docteur Terrados ne s'en serait pas tiré à si bon compte. Je n'avais pas eu le temps de prendre une photo du contenu du sac mais j'avais bien vu des ampoules et des seringues. Il ne faisait de doute qu'elles avaient servi. À qui ? Pourquoi ? Quelques jours plus tard, les premières grandes échéances étaient au programme : l'étape chronométrée de Salamanque et surtout la terrible montée de l'Anglirù. Il s'agissait d'une nouvelle trouvaille des organisateurs : douze kilomètres d'ascension dont six avec des passages entre 18 et 23 % ! Du jamais vu dans une grande course par étapes de trois semaines. Et Manolo Saiz savait que c'était déjà un des grands tournants de la Vuelta cette année-là, en particulier pour son leader Abraham Olano, l'un des favoris. En raison de son gabarit, Olano n'était pas très à l'aise en montagne. Encore moins avec un final aussi difficile et un tel pourcentage. J'imaginais qu'on lui avait préparé un traitement " spécial " pour lui permettre de bien négocier ces deux journées difficiles et franchir l'Anglirù sans trop de dégâts. Une simple hypothèse, une extrapolation de ma part mais les faits allaient me donner raison. En attendant, je fonçais vers Benidorm. J'avais planté Terrados à la station-service et je n'étais pas trop rassuré. Je roulais avec l'oeil en permanence sur le rétroviseur, redoutant d'être pris en chasse par une patrouille de la police espagnole à chaque entrée d'autoroute. Mais n'était-ce pas qu'un bluff du " docteur doping " ? Je réfléchissais aux développements éventuels de cette affaire, à ses conséquences, sachant qu'en Espagne ils ont vite fait de transformer le moindre incident en affaire d'État. Pour me couvrir, j'appelais quelques confrères romands accrédités sur la Vuelta et leur racontais mon histoire. Car je m'attendais à être cueilli par les flics dans la zone d'arrivée. Cette affaire m'apparaissait louche. Elle m'excitait et mon imagination galopait. Mais en définitive rien ne viendrait perturber mon travail dans l'immédiat.


Le post-scriptum de cyclisme-dopage.com

Cet article est extrait du livre de Bernard Duboux "Carnets de route : Tours et détours".
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Cette page a été mise en ligne le 24/09/2015