Actualité du dopage



Salanson mort d'une anomalie du coeur qui n'a pas été détectée

11/06/2007 - cyclismag.com - Pierre Carrey

Quatre ans après la mort subite de Fabrice Salanson, la veille du Tour d'Allemagne, son cardiologue, le Pr François Carré honore sa mémoire avec le Club des cardiologues du sport, qui parraine une Bourse de recherche Salanson. Il explique à Cyclismag pourquoi le risque zéro de mort subite n'existe pas chez les sportifs.

Cyclismag : Quel souvenir gardez-vous de la mort brutale de Fabrice Salanson survenue dans la nuit du 2 au 3 juin 2003 ?

Pr François Carré (1) : J'étais dans l'avion quand j'ai appris sa mort, je revenais de l'étranger. Je suis rentré immédiatement à mon cabinet pour consulter son dossier, qui remontait trois ou quatre ans en arrière, quand je le suivais avec le CHU de Rennes. Je voulais voir si le dossier comportait une anomalie. Un cardiologue n'a pas droit à l'erreur. Il a toujours peur d'être mis en cause pour une erreur de diagnostic ou de dépistage si l'un de ses patients, auquel il a délivré une licence sportive, décède brutalement.

Le dossier vous est-il apparu "normal" ?

Tout à fait. Et voilà pourquoi, quatre ans après, j'ai accepté, très touché, la proposition de sa famille et de son ex-manageur Philippe Raimbaud de parrainer une Bourse de recherche à la mémoire de Fabrice Salanson. Celle-ci récompense les chercheurs qui travaillent à améliorer la prévention de la mort subite chez les sportifs. Car, au fond, c'est terrible à dire, mais c'est à cause des accidents qui arrivent que la science progresse.

« LE SPORT N'A PAS TUÉ SALANSON »

De quoi est mort Fabrice Salanson exactement ?

Je n'ai pas eu accès aux résultats de l'autopsie, mais il est très certainement mort d'une anomalie du coeur qui n'a pas été détectée. Contrairement à ce que certains pourraient penser, ce n'est pas le sport qui l'a tué. Le sport ne provoque pas une pathologie cardiaque, il la révèle. L'incident est rare, heureusement. Il touche une personne sur 200 000 dans une population de sportifs âgées de moins de 35 ans.

Avant la publication des résultats de l'autopsie, on a soupçonné le dopage d'avoir provoqué la mort de Fabrice Salanson. Cela vous choque ?

Oui. C'est trop simpliste. Grâce à ce genre de raccourci sensationnel, les médias peuvent vendre un peu plus de journaux. Pour certains d'entre eux, il est préférable de dire qu'un coureur est mort du dopage que d'une maladie génétique, congénitale, voire d'un manque de chance. Vis-à-vis de la famille et de la mémoire du sportif, c'est une faute éthique de parler sans savoir. Y-compris pour les médecins, qui s'expriment parfois sans attendre les résultats officiels de l'autopsie.

« UNE ENQUETE TOXICOLOGIQUE POUR ÉVITER LES SOUPCONS »

Laquelle autopsie conclut fatalement à un arrêt du coeur ! Comment écarter définitivement le soupçon du dopage en cas de mort subite ?

En incluant une enquête toxicologique aux autopsies de chaque sportif. J'espère qu'une loi rendra bientôt cette pratique obligatoire. J'espère aussi qu'on va systématiser le prélèvement d'ADN lors de l'autopsie pour définir si la mort subite est due à une maladie génétique. Dans 5 à 10% des cas, l'autopsie est dite "blanche", elle ne permet pas de connaître la cause du décès. Et je pense que dans ces cas-là, les causes sont d'ordre génétique.

La mort subite chez les sportifs est un sujet dont on parle un peu plus dans les médias...

La population ne s'attend pas à voir s'écrouler tout à coup des gens censés représenter la santé, la pleine forme, la jeunesse. On entend même lors des accidents, des voix qui 'élèvent pour dire : "Regardez, le sport, cette personne-là ne savait pas en faire !" Ou bien : "Le sport de haut niveau est dangereux pour la santé" !

« LE SPORT N'EST PAS DANGEREUX POUR LA SANTÉ »

Pourquoi contestez-vous ce lieu commun ?

Les chiffres sont très difficiles à fournir, car plusieurs paramètres entrent en jeu. Disons qu'une population qui ne pratique pas un exercice physique régulier et qui devrait fournir un effort comme courir derrière son bus ou tailler sa haie, le risque d'infarctus est de 100. Pour une population qui fait un exercice physique régulier, le risque n'est plus que de cinq. Le sport n'est pas dangereux pour la santé. L'espérance de vie pour une population de sportifs sains est égale voire supérieure d'un an à celle d'une population de personnes non sportives. Pour les articulations, c'est vrai, le sport peut provoquer des dommages. Mais pas pour le coeur ! J'ai la chance d'étudier le coeur de plusieurs sportifs de haut niveau. Il s'agit d'une véritable Formule 1.

C'est-à-dire ?

En cas d'effort très intense, le coeur de Monsieur-Tout-Le-Monde passe d'un débit de 5 litres par minute à 25 litres. Chez un sportif, il monte entre 35 et 40 litres !

« L'ORGANISME DES SPORTIFS EST HABITUÉ A LA CHALEUR MAIS PAS CELUI DE MONSIEUR TOUT-LE-MONDE »

Le Club des cardiologues du sport édicte des règles d'or pour éviter la mort subite (lire ici). "Je ne fais pas de sport intense si j'ai de la fièvre, ni dans les 8 jours qui suivent un épisode grippal (fièvre plus courbatures)". Voilà une règle que piétinent bon nombre de cyclistes de haut niveau !

Non, les médecins d'équipe sont de plus en plus respectueux de cette recommandation. Il faut dire que selon les études, 8 à 10% des morts subites qui surviennent dans la pratique du sport sont dues à des myocardites, des "courbatures du coeur". Autrefois, après une grippe, les médecins prescrivaient une période de convalescence. Aujourd'hui, on demande toujours de respecter un repos de huit à dix jours.

Autre règle que vous préconisez : "J'évite les activités intenses par des températures extérieures inférieures à -5 ou supérieure à 30 degrés". Comment les coureurs du Tour de France vont-ils exercer leur métier ?

Ils courent tous les jours. Leur organisme en général s'habitue à la chaleur. Mais, si Monsieur-Tout-Le-Monde veut pratiquer du sport par 35°, il prend un risque. Il y a deux ans, un participant du Marathon du Mont-Saint-Michel est décédé d'un coup de chaud. Depuis, les organisateurs ont fait passer l'horaire de départ de 9h à 19h.

Sera-t-il possible un jour pour un sportif de haut niveau de recevoir un diagnostic à 100% fiable, qui lui permette de pratiquer sa discipline sans risque de mort subite ?

Le risque zéro n'existe pas. La science pourra progresser, les maladies génétiques, par définition, continueront d'apparaître. Mais nous souhaitons affiner notre travail de détection. Par exemple, le Dr Jean-Claude Verdier, le premier lauréat de la Bourse de recherche Fabrice Salanson, a travaillé sur une maladie particulière qui provoque des arrêts cardiaques. Au niveau européen, nous voulons travailler sur l'ensemble des maladies. Nous devons en particulier améliorer nos appareils électrocardiogrammes et leur fournir une base de renseignements correspondant à une population de sportifs. A ce niveau, la France est encore en retard sur des pays comme les Etats-Unis ou l'Italie.

(1). Le Pr François Carré est professeur à l'Université de Rennes I et médecin au CHU de Rennes. Il préside le Club des cardiologues du sport.

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Cette page a été mise en ligne le 14/06/2014